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A69 : le “Stop and go” de la justice administrative

Le 28 mai 2025, la Cour administrative d’appel (CAA) de Toulouse a prononcé le sursis à l’exécution des jugements rendus le 27 février 2025 par le Tribunal administratif (TA) de Toulouse ayant annulé les autorisations environnementales délivrées par l’Etat les 1er et 2 mars 2023 aux sociétés concessionnaires chargées de la réalisation de la liaison autoroutière Castres Toulouse (LACT) A680 et A69.

Disons-le tout de go, cette décision de justice frappe par sa relative inanité au regard de la motivation particulièrement fournie des jugements du TA de Toulouse du 27 février 2025. Cette décision d’appel est déjà très critiquée et est, admettons-le, très largement critiquable d’un strict point de vue juridique (CAA Toulouse, 28 mai 2025, n° 25TL00597, n° 25TL00642 et n° 25TL00653).

Par deux jugements du 27 février 2025 (TA Toulouse, 27 février 2025, n° 2303544, 2304976, 230532), le Tribunal administratif de Toulouse a prononcé l’annulation, d’une part, de l’arrêté du 1er mars 2023 des Préfets de la Haute-Garonne et du Tarn délivrant à la société Atosca une autorisation environnementale pour la création de la liaison autoroutière entre Verfeil et Castres dite A69 et, d’autre part, de l’arrêté du 2 mars 2023 du Préfet de la Haute-Garonne délivrant à la société des Autoroutes du Sud de la France une autorisation environnementale pour les travaux de mise à deux fois deux voies de l’autoroute A680 déjà existante entre Castelmaurou et Verfeil.

Ces décisions de justice du TA de Toulouse avaient soulevé la bronca de nombreux politiques et notamment d’élus locaux : pour la première fois en France, une infrastructure routière était interrompue dans sa construction par une décision de justice.

L’Etat, notamment par la voix de son Ministre des Transports, avait alors déclaré faire immédiatement appel de cette décision de justice de première instance en utilisant toutes les voies de droit ouvertes.

C’est ici que surgit l’article R.811-15 du Code de justice administrative (CJA), disposition réglementaire assez méconnue et peu utilisée en droit public, désormais au cœur du débat politico-juridique.

Dans le procès administratif, en dehors de quelques exceptions résultant de textes spéciaux, l’exercice de l’appel ne présente pas un caractère suspensif de l’exécution du jugement attaqué, et ce comme le dispose l’article R.811-14 du CJA selon lequel, « sauf dispositions particulières, le recours en appel n’a pas d’effet suspensif s’il n’en est autrement ordonné par le juge d’appel dans les conditions prévues par le présent titre« . Ce principe qui n’est que de valeur réglementaire (CE, 27 juin 1980, n° 17764, mentionné aux tables du recueil Lebon) est ainsi aménagé par l’article R.811-15 qui dispose que “lorsqu’il est fait appel d’un jugement de tribunal administratif prononçant l’annulation d’une décision administrative, la juridiction d’appel peut, à la demande de l’appelant, ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l’appelant paraissent, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d’annulation accueillies par ce jugement”. Autrement dit, une décision d’annulation de première instance même frappée d’appel doit être exécutée, et ce en attendant la décision des juges de seconde instance sauf à obtenir un sursis à exécution sur le fondement de l’article R.811-15 du CJA.

Les conditions de l’octroi du sursis à exécution sont strictes. Les Juges du palais-Royal ont ainsi, par le passé, défini l’office du juge d’appel saisi d’une demande de sursis à exécution dans une décision de principe du 26 mars 2014 (CE, 26 mars 2014, n° 370300, publié au recueil Lebon). Pour le Conseil d’Etat, “lorsque le juge d’appel est saisi d’une demande de sursis à exécution d’un jugement prononçant l’annulation d’une décision administrative, il lui incombe de statuer au vu de l’argumentation développée devant lui par l’appelant et par le défendeur et en tenant compte, le cas échéant, des moyens qu’il est tenu de soulever d’office ; qu’après avoir analysé dans les visas ou les motifs de sa décision les moyens des parties, il peut se borner à relever qu’aucun des moyens n’est de nature, en l’état de l’instruction, à justifier l’annulation ou la réformation du jugement attaqué et rejeter, pour ce motif, la demande de sursis ; que si un moyen lui paraît, en l’état de l’instruction, de nature à justifier l’annulation ou la réformation du jugement attaqué, il lui appartient de vérifier si un des moyens soulevés devant lui ou un moyen relevé d’office est de nature, en l’état de l’instruction, à infirmer ou à confirmer l’annulation de la décision administrative en litige, avant, selon le cas, de faire droit à la demande de sursis ou de la rejeter”.

C’est une jurisprudence désormais constante appliquée par les juges d’appel et notamment la CAA de Toulouse qui se prononce le plus souvent en formation de juge unique, le magistrat chargé du dossier statuant seul (CAA Toulouse, 11 avril 2024, n°24TL00013 ;  CAA Toulouse, magistrat statuant seul, 21 avril 2023, n°23TL00328). On remarquera toutefois que dans le dossier de l’A69 qui nous intéresse, la formation de jugement était collégiale, sans doute compte tenu de l’extrême sensibilité politique de ce dossier et pour éviter toutes critiques de pression politique.

Pourtant, avouons-le, malgré cette précaution, la décision de la CAA de Toulouse du 28 mai 2025 est très largement critiquable d’un strict point de vue juridique.

En principe, le sursis à exécution ne peut être obtenu pour un simple motif d’irrégularité du jugement, il faut que la solution retenue au fond soit véritablement susceptible d’être inversée pour que le sursis puisse être accordé (qui d’ailleurs demeure une faculté pour le juge et non une obligation).

Dans le dossier de l’A69, les juges d’appel ont adopté une motivation a minima dans leurs considérants n° 9 et 10 en jugeant que “ à l’appui de leur demande tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution du jugement prononçant l’annulation de l’autorisation environnementale délivrée par les préfets de la Haute-Garonne et du Tarn, les sociétés Atosca et Guintoli soutiennent que le projet de liaison autoroutière Castres Toulouse dans lequel s’inscrivent les travaux de création d’une nouvelle voie autoroutière A69, répond par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En l’état de l’instruction, ce moyen tel que visé et analysé dans les visas du présent arrêt (…) apparaît sérieux et de nature à entraîner, outre l’annulation du jugement, le rejet des conclusions à fin d’annulation accueillies par le tribunal administratif de Toulouse”.

Sur la forme, cet arrêt répond aux exigences de la décision de principe du Conseil d’Etat du 26 mars 2014 précitée :

– la décision analyse dans ses visas les moyens des parties ;

– les juges semblent par ailleurs avoir statué au vu de l’argumentation développée devant lui par les parties et en tenant compte des moyens qu’ils sont tenus de soulever d’office.

Toutefois, pour tout juriste, impossible de cacher son malaise à la lecture de cet arrêt en le comparant avec la décision de première instance du TA de Toulouse particulièrement motivée (un jugement de 24 pages dont 6 pages de motivation sur le fond du dossier contre seulement 1 page de motivation dans l’arrêt ici commenté). Il est intéressant de constater que même l’avocate du département du Tarn (défenseur du projet) a regretté dans un tweet (disparu depuis) “qu’on n’aurait pas été fâché de lire une motivation un peu plus développée dans l’intérêt de toutes les parties”.

Le sursis à l’exécution ainsi prononcé a pour effet de remettre en vigueur les autorisations environnementales qui avaient été annulées jusqu’à ce que la cour se prononce sur les trois appels dont l’instruction contradictoire se poursuit devant elle. Le chantier de cette autoroute de la discorde va donc reprendre à marche forcée. Peut-être même sera-t-il achevé avant qu’au fond, les juges d’appel ne se prononcent (avec le risque d’une autoroute achevée mais illégale). Cette dernière hypothèse me semble cependant peu probable (si cette hypothèse est théoriquement possible, je vois mal en pratique la même cour se “déjuger” même si les juges du fond et ceux du sursis à exécution n’ont pas le même office). Les opposants à l’A69 ont aussi prévu de saisir le Conseil d’Etat contre la récente décision de la CAA de Toulouse. D’autres épisodes judiciaires sont donc à venir.

Par ailleurs, jeudi 15 mai 2025, avant l’arrêt de la CAA de Toulouse, les sénateurs avaient adopté un projet de loi de validation visant à permettre la reprise du chantier. L’objet de ce projet de loi de validation est ainsi de tenir en échec la décision du juge administratif pour permettre la reprise du chantier autoroutier. Curieuse pratique en démocratie mais pas inédite (l’article 11 de la loi n° 2005-809 du 20 juillet 2005 visait déjà à valider l’ensemble des conventions d’aménagement conclues sans être précédées d’une procédure de publicité et de mise en concurrence).

Il existe toutefois ici une différence de taille : le projet de loi (bientôt en commission mixte paritaire – au jour de l’écriture de ces lignes – après le vote d’une motion de rejet par les partisans du projet) ne vise pas à anéantir des irrégularités de procédure entachant un projet mais bel et bien à s’ingérer dans une procédure judiciaire en cours pour annihiler une décision de justice. Or, en principe, les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme s’opposent, sauf d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement judiciaire des litiges. Les risques d’inconstitutionnalité et d’inconventionnalité d’une telle loi (si elle devait être votée) sont donc réels (voir en ce sens  : Conseil constitutionnel, 2 mars 2016, n° 2015-525 QPC ; Tribunal des Conflits, 13 décembre 2010, n° C3800). Peu importe, car en cas de censure d’une telle loi, certains politiques fâchés avec l’état de droit diront simplement que le juge (constitutionnel) est une fois de plus le problème de tous leurs maux.

Regrettons que dans cette affaire, l’enjeu essentiel est ici – une nouvelle fois – mis de côté, à savoir la protection des espèces protégées et des espaces agricoles. Pas un mot (ou peu) sur ces derniers dans les médias. Ces quelques lignes sont d’ailleurs aussi critiquables pour ce même motif…

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Président de FRD CONSULTING et de FRD LEARNING. Son expérience de juriste et d’avocat lui a notamment permis d'acquérir une solide expertise en droit immobilier public (droit de l’urbanisme, droit des collectivités territoriales, droit de l’environnement…).
- Spécialiste en droit public et en RSE
- DEA Droit public des affaires
- DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
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