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Environnement et santé publique : L’État n’en fait pas assez s’agissant de la prolifération des algues vertes en Bretagne et l’échouage récurrent des algues brunes aux Antilles françaises !

Deux phénomènes différents, mais un même constat : la prolifération des algues vertes en Bretagne et l’échouage récurrent des algues brunes (dites “sargasses”) en Martinique et en Guadeloupe posent de nombreux problèmes environnementaux, sanitaires et économiques. Une chose est sûre : l’État doit faire face, vite et mieux, pour endiguer ces deux phénomènes. Un récent jugement du Tribunal administratif (TA) de Rennes du 18 juillet 2023 en est la parfaite illustration concernant les algues vertes qui déferlent sur les côtes bretonnes. Cette décision de justice est aussi peut-être le prélude à d’autres actions possibles en matière de sargasses s’agissant notamment des territoires ultramarins.

Qu’elles soient vertes ou brunes, ces algues pourrissent la vie des Bretons, des Martiniquais et des Guadeloupéens. De quoi s’agit-il exactement ? Depuis de nombreuses années maintenant, la prolifération des algues vertes en Bretagne et l’échouage quasi permanent des sargasses en Martinique et en Guadeloupe constituent un véritable problème pour les populations locales.

C’est en effet un étrange ballet qui se répète en Bretagne depuis des décennies : des tracteurs s’agitent pour collecter des tonnes d’algues vertes échouées sur les plages (l’État versant aux collectivités locales entre 600 000 euros et 1 million d’euros par an pour couvrir les frais de ramassage de ces ulves).  Un phénomène survenu pour la première fois en 1971, et qui a depuis pris de l’ampleur. Selon l’Agence Régionale de Santé (ARS) de Bretagne, “les marées vertes qui affectent le littoral breton correspondent à des proliférations d’algues d’espèce Ulva. Elles se développent au printemps et en été sous l’action de la température et une combinaison de facteurs physiques naturels. Leur dégradation constitue une nuisance olfactive et visuelle qui peut générer une exposition excessive à l’hydrogène sulfuré en cas de contact rapproché. En cas de manipulation ou de piétinement de dépôts d’algues putréfiées, le gaz accumulé sous la croûte de surface ou présent dans les sédiments est libéré brutalement à une concentration qui peut être très importante. S’il est respiré, ce gaz peut entraîner des effets sur la santé qui vont de la gêne au malaise grave jusqu’à la mort, en fonction de la concentration libérée. La perception d’odeurs présente également une véritable nuisance pour les personnes qui les subissent et est alors susceptible d’avoir un retentissement non négligeable sur leur santé. Les algues vertes ne représentent en revanche aucun danger pour la santé lorsqu’elles sont en mer ou déposées depuis peu, en faible épaisseur, sur la plage. Ces marées vertes seraient la conséquence de l’essor de l’élevage industriel breton. Pour beaucoup d’associations de lutte pour l’environnement, le lien entre algues vertes et industrialisation de l’élevage breton ne fait aucun doute. Sont notamment pointées du doigt les fermes-usines sur le territoire breton.

De l’autre côté de l’Atlantique du côté de la mer des Caraïbes, les sargasses pullulent également, et ce tout au long de l’année. Elles se développent facilement par reproduction végétative. Autrement dit, dès qu’un fragment d’algue est détaché, il peut potentiellement recréer un autre individu. En mêlant leurs données avec celles de la consommation d’engrais au Brésil, du déboisement en Amazonie et de la composition de l’eau rejetée par le fleuve Amazone, de nombreux scientifiques expliquent avoir trouvé une des raisons de l’apparition de ces sargasses : la déforestation de la forêt amazonienne, alliée au développement de l’agriculture intensive (l’activité agricole et ses nutriments, tels que l’azote, auraient ainsi favorisé la prolifération de la plante aquatique). Selon l’ARS de Martinique, “ces algues ne sont pas toxiques en elles-mêmes. Mais elles meurent une fois échouées sur les plages. Des dégagements importants de gaz se créent lors de leur putréfaction, notamment de sulfure d’hydrogène. Cela peut provoquer des nuisances olfactives et des troubles sanitaires. Une campagne de mesure des quantités de sulfure d’hydrogène présentes dans l’air a été entreprise sur les communes les plus touchées. Elles ont révélé que certains dépôts d’algues en décomposition peuvent occasionner des risques pour la santé. Des doses peuvent avoir pour effet une irritation des yeux (conjonctivite, gène à la lumière vive) et des voies respiratoires (rhinite, enrouement, toux, douleur thoracique). Les personnes asthmatiques y sont particulièrement sensibles, ainsi que les jeunes enfants et les femmes enceintes”. Des études scientifiques sont encore en cours, mais il y a fort à parier qu’elles peuvent déboucher dans quelques années sur un scandale sanitaire.

Algues vertes ou sargasses, ces espèces profitent dans tous les cas de l’opportunité d’une niche écologique. Deux phénomènes ayant des causes différentes (même si dans les deux situations, l’activité de l’homme en est la cause), mais une seule et même question se pose : l’État en fait-il assez pour combattre ces marées vertes et brunes ? Une réponse semble s’imposer. Deux décisions de justice rendues des deux côtés de l’Atlantique à trois ans d’intervalle permettent d’y voir plus clair. Un jugement du Tribunal administratif de Rennes rendu le 18 juillet 2023 et un autre du Tribunal administratif de la Martinique rendu le 18 juin 2020 méritent en effet notre attention (TA Rennes, 18 juillet 2023, n° 2206278 ; TA de la Martinique, 18 juin 2020 n° 1900046).

L’association “Eau et rivières de Bretagne” avait attaqué en 2018 devant le Tribunal administratif de Rennes un arrêté du 2 août 2018 portant sixième programme d’actions régional en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d’origine agricole (PAR 6). Elle estimait notamment que le PAR 6 (plan d’action d’origine étatique) ne comportait aucune mesure spécifique relative à la lutte contre les algues vertes. Dans sa première décision du 4 juin 2021 (TA Rennes, 4 juin 2021, n° 1806391), le Tribunal administratif de Rennes a considéré que “si des mesures contraignantes ont effectivement été mises en œuvre dans le sixième programme d’actions […], un renforcement des actions mises en œuvre demeure nécessaire afin de restaurer durablement la qualité de l’eau en Bretagne, de limiter les fuites de nitrates à un niveau compatible avec les objectifs de restauration et de préservation de la qualité des eaux et, de prévenir au maximum le phénomène des marées vertes”.

En conséquence, le tribunal a annulé le PAR 6 en enjoignant au représentant de l’État de le modifier et de le compléter dans les quatre mois suivant le jugement. Le PAR 6 modifié devait prévoir « toute mesure supplémentaire utile de maîtrise de la fertilisation azotée et de gestion adaptée des terres agricoles dans les bassins versants situés en amont des sites littoraux concernés par les problématiques d’algues vertes« . En outre, le tribunal a rendu obligatoire la définition précise d’un mécanisme de mise en œuvre de mesures réglementaires contraignantes supplémentaires en cas de constat d’échec des mesures encouragées par le plan gouvernemental de lutte contre les algues vertes (PLAV). Dans son nouveau jugement du 18 juillet 2023, le TA de Rennes estime que sa décision du 4 juin 2021 enjoignant au Préfet de Bretagne de parfaire son dispositif régional de lutte contre la pollution aux algues vertes n’a pas été suffisamment mise en œuvre par l’arrêté du 18 novembre 2021 pris à cette fin.

En effet, ces mesures n’apparaissent pas suffisamment exigeantes en ce qui concerne la définition des seuils de déclenchement des mesures correctrices, ni suffisamment contraignantes par l’effectivité des contrôles prévus, en l’absence, notamment, de baisse significative de la pression azotée admise sur les parcelles et de contrôles suivis d’effets adaptés aux enjeux. Ensuite, s’agissant de la mise en œuvre d’actions directement efficaces, l’arrêté se borne à prévoir la mise en place dans un premier temps d’outils d’information, de mesure et de surveillance et non la mise en œuvre immédiate d’actions directement efficaces et précisément définies, applicables de façon impérative et automatique dans l’hypothèse du dépassement de seuils critiques ou d’alerte. En conséquence, le tribunal enjoint à nouveau au représentant de l’État d’agir par l’édiction de prescriptions particulières applicables sans délai aux exploitations agricoles, propres à garantir le respect de plafonds d’apport d’azote adaptés aux capacités d’absorption des cultures conformes aux préconisations scientifiques et permettant une réduction effective du phénomène d’eutrophisation à l’origine du développement des algues vertes. Selon un communiqué de l’État faisant suite à la décision du TA de Rennes de juillet 2023, l’exécutif aurait pris “acte de ce jugement et va apporter les réponses nécessaires, tout en poursuivant, à travers les différents dispositifs existants, son action de lutte contre les algues vertes, enjeu majeur en Bretagne”.

Qu’en est-il de la justice administrative au sujet des sargasses aux Antilles françaises ? Dans son jugement susvisé du 18 juin 2020, le TA de la Martinique a refusé d’indemniser une société hôtelière qui demandait que la responsabilité de l’État soit reconnue à raison de l’insuffisance des mesures prises pour lutter contre l’échouage récurrent d’algues sargasses. Cette société exploitant un hôtel situé en bord de mer, sur la côte Atlantique, qui estimait être victime d’une baisse de fréquentation de son établissement au cours de l’année 2018 en raison des nuisances générées par l’échouage des algues sargasses avait en effet formé un recours indemnitaire dans lequel elle se prévalait de l’insuffisance des mesures prises par l’État pour lutter contre ce phénomène.

Les juges ont alors relevé que les services de l’État en Martinique ont d’abord mis en place un dispositif de suivi de la trajectoire des algues sargasses en mer, puis au cours de l’année 2018, après avoir mené des études de faisabilité et de fiabilité technique, ont installé 14 barrages en mer afin d’empêcher l’arrivée des algues sur le littoral. L’État a de plus apporté son concours aux communes pour ramasser les algues échouées sur la côte. Il a ainsi mobilisé des moyens humains, pour piloter et coordonner les opérations de ramassage des mairies et leur apporter une assistance technique. Il a également mobilisé des moyens financiers, en allouant aux communes touchées des subventions afin de financer les chantiers de ramassage. Enfin, les services de la préfecture ont mis en place des mesures d’accompagnement à destination des entreprises du secteur du tourisme impactées par le phénomène d’échouage des sargasses. Elles ont ainsi pu bénéficier d’aides financières telles que l’apurement de leurs dettes fiscales, de leurs cotisations sociales, ou encore le recours facilité au chômage partiel. Dans ces circonstances, le Tribunal a estimé que les mesures appropriées ont été prises pour lutter contre l’échouage des algues sargasses sur le littoral de la Martinique, rejetant  en conséquence le recours, en l’absence de faute commise par l’État.

Il n’est pas certain qu’en cas de nouveau recours indemnitaire aujourd’hui, l’issue judiciaire serait la même tant la situation sur le front de ces marées brunes s’est aggravée en 3 ans.  Comme l’a justement relevé le TA de la Martinique le 18 juin 2020, “il incombe aux autorités publiques chargées d’assurer la sécurité sanitaire et la protection de l’environnement d’arrêter, en l’état des connaissances scientifiques, au besoin à l’aide d’études ou d’enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et, si possible, éliminer ces dangers” (à rapprocher avec CE, 31 mars 2017, n° 393190). Or, force est de constater que l’État ne fait pas suffisamment en la matière sur ces territoires caribéens. Les services de l’État eux-mêmes l’ont reconnu : un rapport conjoint datant de juillet 2016 du ministère des Outre-mer, du ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la mer, et du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la forêt (“Le phénomène d’échouage des sargasses dans les Antilles et en Guyane”) juge que “ la solution réside dans le ramassage en mer”, autrement dit “en pleine eau”, ce qui relève de sa compétence.

L’État a d’ailleurs déjà été condamné pour sa carence fautive s’agissant de la prolifération des algues vertes par le juge administratif saisi par une commune bretonne (TA Rennes, 29 mai 2015, n° 1202683), il n’avait pas remis en cause en appel “ni sa responsabilité fautive ni le principe de l’indemnisation du préjudice subi par la commune requérante affectée par la prolifération des algues vertes sur ses côtes » (CAA Nantes, 3 octobre 2016, n°15NT02327). Au final, considérer, comme le fait trop souvent l’État, qu’il appartient aux communes antillaises de ramasser et traiter ces déchets (spécifiques et difficilement assimilables à des déchets ménagers) au motif qu’il leur appartient de veiller à la salubrité de leurs plages, revient à donner une réponse à un problème qui ne devrait pas se poser. Le ramassage efficace des algues sargasses doit s’effectuer en mer, sous la responsabilité de l’État.

Un constat s’impose : une carence fautive de l’État est à pointer du doigt s’agissant de la prolifération des algues vertes en Bretagne et de l’échouage des algues brunes aux Antilles. Il est urgent d’agir, évitons de nouveaux scandales sanitaires. En attendant, il y a fort à parier que d’autres décisions du juge administratif viendront à l’avenir rappeler à l’ordre l’État français.

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Président de FRD CONSULTING et de FRD LEARNING. Son expérience de juriste et d’avocat lui a notamment permis d'acquérir une solide expertise en droit immobilier public (droit de l’urbanisme, droit des collectivités territoriales, droit de l’environnement…).
- Spécialiste en droit public et en RSE
- DEA Droit public des affaires
- DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
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