Académique

Conseil

Académique

Les Tiers-lieux: une agora sociale de la RSE possible pour un modèle d’entreprise territoriale, coopérative et communicationnelle

A l’heure de la révision potentielle de la norme ISO 26000, quelque quinze années après l’instauration de sa première version, tout ne semble pas avoir été dit sur la RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise). Et en effet, depuis 2010, du chemin a été parcouru. Aujourd’hui encore, notamment pour les derniers entrants dans le domaine de la RSE, et en particulier ceux assujettis aux obligations légales de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), la notion peut encore faire l’objet de profondes incompréhensions.

D’aucuns considèrent qu’il suffirait d’acheter une prestation, et de recourir le cas échéant à une compétence externalisée, pour obtenir, comme par magie, son passeport de respectabilité RSE. Et d’ailleurs, aux dires de certains, « on serait RSE » ou « on ne le serait pas encore », comme si l’on pouvait adopter en la matière une approche dichotomique ! En l’occurrence, si l’on se réfère à Edgar Morin, la réalité nous semble beaucoup plus complexe. Eu égard à notre expérience croisée d’enseignant-chercheur et d’acteur engagé de la RSE, en qualité de responsable d’un tiers-lieu dans la région de Bordeaux, à Blanquefort, nous cherchons ici à tirer quelques enseignements quant à l’importance d’élargir notre conceptualisation de la RSE. Suite à notre rencontre au sein du master 2 RSE de formation continue à l’IAE et l’Université de Bordeaux, nous avons tenté de mieux cerner cette notion, en nous penchant sur une série d’impensés, certes dommageables mais pas, pour autant, définitivement insurmontables.

S’agissant d’une entreprise débutante en termes de RSE, envisageant sa mise en œuvre, une erreur courante serait probablement de considérer qu’il suffirait d’implanter quelques outils de gestion adaptés, agrémentés de nouveaux indicateurs. Avant d’être intégrée dans des outils internes, la RSE doit être incarnée, et portée par le dirigeant de l’entreprise qui doit mener un travail d’appropriation. Or, même si ce point a souvent été occulté par l’idéologie dominante et la vulgate managériale, avant de parler de plan d’actions, et de pratiques, la RSE doit susciter une réflexion permanente et continue, ainsi qu’un débat et un questionnement à propos des modalités de son application au cas spécifique de chaque entreprise. De ce point de vue, deux types de RSE rentrent potentiellement en opposition, si l’on s’inspire des travaux d’Harbermas, sur l’Agir Communicationnel. Selon une première approche, la RSE relèverait principalement d’une rationalité instrumentale. En d’autres termes, il suffirait d’identifier les enjeux, de consulter les parties prenantes, de mettre en place les bonnes pratiques, puis de monitorer le tout avec les bons indicateurs, pour entériner une démarche RSE. Selon une seconde acception de la RSE, plus exigeante, l’exercice s’avèrerait beaucoup plus complexe. Il faudrait mettre en œuvre une rationalité communicationnelle, c’est-à-dire une réflexion considérant le principe selon lequel toutes les solutions ne sont pas encore envisagées, et qu’une coopération entre les acteurs, tournée vers une logique d’innovation, est indispensable. Le lecteur pourra se référer utilement au courant de l’innovation sociale, qui a fait l’objet de travaux de recherche au sein de l’université de Bordeaux. Pour l’heure, cette seconde conception de la RSE ne semble pas avoir retenu toute l’attention nécessaire, mais elle pourrait désormais émerger dans le cadre de tiers-lieux, tels que celui animé à Blanquefort, dans la région de Bordeaux.

L’idée d’un tiers-lieu est effectivement de mettre à disposition des entreprises un espace dédié à la thématique de la RSE, sous forme d’un espace de rencontres et de réflexions, via des conférences-débats, des témoignages de dirigeants et de responsables, d’acteurs économiques et de personnalités marquantes. En l’occurrence, les tiers-lieux peuvent être assimilés à des espaces de ressources, des agora incubatrices de nouvelles idées avant que celles-ci ne soient concretisées sous la forme de projets ou de pratiques. Ainsi, plutôt que d’engager une démarche RSE de manière isolée, la raison d’être des tiers-lieux consiste à accélérer la transformation des modèles d’affaires. Ils favorisent la rencontre des acteurs de la transition sur des sujets nécessitant par ailleurs des expertises multiples accompagnées de coopérations trans-organisationnelles et de partenariats public-privé. Le développement d’une telle RSE peut ainsi être mené d’une manière d’autant plus coopérative qu’elle s’adosse à un espace permettant les échanges : d’idées, de données et de connaissances diverses. On ne sera pas alors étonné qu’une telle stratégie collective puisse simplifier l’accès à des financements à vocation éthique et responsable. L’entreprise résolument engagée dans un tiers-lieu pourra ainsi développer son capital réputationnel, son ancrage territorial et son capital savoir. Si la RSE peut être considérée comme la contribution de l’entreprise au développement durable, cette dernière ne peut espérer atteindre un tel résultat sans la mobilisation de son écosystème. L’entreprise doit donc demeurer ouverte sur la société, entraîner les parties prenantes, et savoir activer tout autant son capital humain interne qu’externe. C’est au prix de cette mise en débat et de cette remise en question que la RSE pourra conforter la légitimité de son modèle d’affaires adapté aux enjeux sociétaux, et inciter ses parties prenantes à évoluer.

La RSE ne saurait être envisagée exclusivement au sein de l’entreprise. Elle devrait élargir son champ d’élaboration et d’application « hors les murs ». Des impacts positifs sont attendus de cette démarche collective, mais ils nécessiteront certainement le développement de nouvelles méthodologies, afin que ces derniers puissent être évalués . L’effet des tiers-lieux pourrait d’ailleurs être mesuré à l’aune d’indicateurs qualitatifs (témoignages d’acteurs) et quantitatifs (portant sur la multiplicité effets sociaux, économiques, environnementaux) . Cette ultime observation nous ramène finalement aux enjeux d’allocation optimale des ressources, dont on voit dans le cas des tiers-lieux qu’ils pourraient être déclencheurs de nouvelles pratiques organisationnelles.

Quelques références pour aller plus loin :

o Ben Nasr, B. (2020). Le néo institutionnalisme sociologique: Une perspective d’analyse de la portée de la stratégie collective de la diffusion de la RSE dans les PME. Gestion 2000, 37(6), 87-108.
o Bonneveux, E., & Saulquin, J. Y. (2009). L’appropriation de la RSE par les dirigeants de PME. Le réseau comme vecteur de l’apprentissage managérial. Revue management et avenir, (3), 170-186.
o Bories-Azeau, I., Defelix, C., Defélix, C., Loubès, A., & Uzan, O. (2016). RH, RSE et territoires. Vuibert.
o Chéhimi, M., & Naro, G. (2024). L’alignement stratégique de la RSE: la conception d’un Sustainability Balanced Scorecard pour une société à mission. ACCRA, 20(2), 37-62.
o Cournac, A. (2015). De la différenciation des pratiques de RSE de l’entreprise multinationale à l’égard de ses territoires d’implantation. Management international, 19(4), 155-167.
o Geitzholz, K., & Morgand, A. (2024). L’action au cœur de l’apprentissage RSE: retour d’expérience d’un hackathon collaboratif. Management & Sciences Sociales, 37(2), 103-115.
o Guérin, S., & Bazin, Y. (2012). RSE, vers de nouvelles formes de coopération en entreprises. La Revue des Sciences de Gestion, (1), 67-68.
o Suchaud, G. (2023). RSE et Performance Globale: La RSE comme levier de Performance Globale et de Légitimité: vers une entreprise à impact positif sur ses territoires d’implantation (Doctoral dissertation, Université Paul Valéry-Montpellier III).

stephane-trebucq
Plus de publications

Stéphane Trébucq est professeur des universités, en poste au sein de l'IAE de Bordeaux et de l'Université de Bordeaux, rattaché au laboratoire IRGO - Institut de Recherche en Gestion des Organisations. Il est actuellement responsable du projet RSE en PME, et de l'axe transition écologique au sein du regroupement des laboratoires en sciences de gestion de Nouvelle-Aquitaine. Il est par ailleurs responsable de la chaire capital humain et performance globale, et co-rédacteur en chef des revues classées Recherche et Cas en Sciences de Gestion (RCSG), et Gestion et Management Public (GMP). Il a récemment présidé le conseil scientifique du congrès RSE de la fondation Oïkos et la remise du prix des Immatériels de l'Observatoire des Immatériels. Ses recherches et publications sont consacrées à la RSE et aux nouveaux outils de gestion intégrant les problématiques de durabilité et de performance globale.

Plus de publications

Benoit VERGNE est consultant en responsabilité sociétale des organisations. En parallèle d'une carrière dans la banque et la finance, il s’est intéressé aux sujets des transitions et d'économie sociale et solidaire. C’est cet intérêt qui l’a conduit à se former à la RSE à l’IAE de Bordeaux. Il a profité de ce temps de formation pour initier un projet de Tiers Lieu qui a ouvert ses portes en déc. 2023. Véritable Ecosystème entrepreunarial, La Graine est un incubateur dédié au développement de l’expertise sur la  Responsabilité Sociétale. Benoit est également élu, en charge du développement économique, à la Ville du Haillan

A lire aussi sur le sujet

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Translate »