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Libertés fondamentales : les casseroles de l’État…

Le droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction est protégé à la fois par la Constitution française de 1958 et par les stipulations des articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Ce droit constitue une liberté fondamentale que l’État a tendance à oublier en ces temps agités. Heureusement, le juge administratif est là pour lui rappeler…

L’État doit pouvoir être à « portée de baffes » de l’autorité judiciaire, c’est aussi cela la démocratie. Le droit au recours effectif permet cela. Il est bon de le rappeler.

Le droit à un recours effectif est établi à l’article 13 de la CEDH selon lequel toute personne qui se prétend victime d’une violation des droits et libertés reconnus par ladite convention a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale. Le juge administratif a eu l’occasion de rappeler qu’il s’agissait là d’une liberté fondamentale. Le Conseil d’État l’a clairement affirmé dans une décision de principe du 13 mars 2006 en considérant que « la possibilité d’exercer un recours effectif devant un juge a le caractère d’une liberté fondamentale » (CE, 13 mars 2006, n° 291118, mentionné au Lebon).


Concrètement, ce droit suppose qu’un citoyen ou une association par exemple puisse saisir dans un délai raisonnable un juge pour faire valoir ses droits ou ses intérêts. L’État et ses représentants semblent l’avoir oublié ou feignent de l’oublier alors que d’importants mouvements sociaux secouent actuellement notre pays, et ce depuis plusieurs semaines désormais.


Alors que le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la très controversée réforme des retraites et notamment le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, des manifestations continuent de voir le jour à travers tout le pays.


Une manifestation s’entend, selon la Cour de cassation, de tout rassemblement statique ou mobile, sur la voie publique, d’un groupe organisé de personnes dans le but d’exprimer publiquement une opinion commune (Cass., Crim., 9 février 2016, n° 14-82.234, publié au Bulletin) ; elle se distingue de l’attroupement, qui suppose l’élément intentionnel, à savoir la volonté de troubler l’ordre public (article 431-3 du code pénal). S’agissant de la liberté de manifester en soi, aucun texte constitutionnel français ne la consacre stricto sensu et de manière explicite.

La liberté de manifestation n’a pas eu en effet l’honneur de faire l’objet d’une grande loi républicaine, mais elle découle d’une autre liberté, le droit d’expression collective des idées et des opinions, protégé par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le Conseil constitutionnel s’est référé au « droit d’expression collective des idées et des opinions » pour la désigner et lui donner valeur constitutionnelle (Cons. const. 18 janv. 1995, n° 94-352 DC ; Cons. const. 4 janv. 2019, n° 2019-780 DC) tandis que le juge administratif a également reconnu que la liberté de manifestation revêtait le caractère d’une liberté fondamentale (CE, ord., 5 janv. 2007, n° 300311, mentionné aux tables du recueil Lebon).

Le respect de la liberté de manifestation ne fait pas obstacle à ce que l’autorité investie du pouvoir de police interdise une manifestation si une telle mesure est seule de nature à prévenir un trouble à l’ordre public (CE, ord., 5 janv. 2007, précité). Autrement dit, un préfet de département peut interdire une manifestation dans des conditions strictes encadrées par le juge administratif et notamment le juge des référés qui peut intervenir en urgence comme le prévoit l’article L.521-2 du Code de justice administrative. Selon cet article, « saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».


On le voit, notre arsenal juridique permet de protéger le droit de manifester dans notre pays et théoriquement la possibilité de défendre cette liberté par la consécration du droit au recours effectif.


Ceci est toutefois mis à mal par la pratique de certains préfets qui rend difficile, voire impossible, dans les faits la défense de ce droit de manifester. Pour attaquer un arrêté préfectoral interdisant une manifestation, encore faut-il que cet arrêté soit publié de manière adéquate (pour en avoir connaissance) afin de faire valoir ses droits auprès du juge des référés qui on l’a vu peut se prononcer en quelques heures. Or, depuis quelque temps, certains représentants de l’État publient très tardivement leurs arrêtés préfectoraux d’interdiction de manifestation, empêchant de facto la saisine du juge des référés qui statue – rappelons-le – en urgence.


En démocratie, cette pratique est grave et condamnable. Le juge des référés du tribunal administratif de Paris l’a récemment rappelé au préfet de police, Monsieur Laurent Nunez (TA Paris, ordo., 4 avril 2023, n° 2307385). En effet, en formation collégiale (ce qui montre l’importance de sa décision), il a récemment ordonné au préfet de police de publier des arrêtés portant mesures de police applicables à Paris à l’occasion d’appels à manifester sur la voie publique sur le site internet de la préfecture dans un délai qui permet un accès utile au juge des référés saisi sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative.


L’association de défense des libertés constitutionnelles, la Ligue des droits de l’homme et trois autres requérants, personnes physiques, ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, pour qu’il enjoigne notamment au préfet de police de publier, avant leur entrée en vigueur, sur le site internet de la préfecture ses arrêtés portant mesures de police applicables à Paris à l’occasion d’appels à manifester.

Ils soutenaient que la méconnaissance par le préfet de police des exigences de publicité adéquate posée par l’article L.221-2 du Code des relations entre le public et l’administration porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un recours effectif. Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a fait droit à cette requête.


Le juge des référés a, tout d’abord, rappelé que le droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, protégé par la Constitution et par les stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, constituait une liberté fondamentale et que sauf motif impératif d’urgence lié au maintien et la sauvegarde de la sécurité publique dans une situation grave, une mesure de police restreignant les libertés publiques devait être publiée dans un délai permettant un accès utile au juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.


Le juge des référés, après avoir constaté que de précédents arrêtés pris, en mars 2023, par le préfet de police de Paris portant interdiction de cortèges, défilés et rassemblements non déclarés dans plusieurs secteurs de la ville de Paris pour des durées limitées n’avaient pas été publiés avant leur application ou avaient fait l’objet d’une publication tardive, a jugé qu’eu égard à la nature de ces arrêtés qui restreignent l’exercice du droit de manifester et la liberté d’aller et venir et qui sont susceptibles d’entraîner des poursuites pour les contrevenants, le défaut de publicité adéquate imposée par l’article L.221-2 du Code des relations entre le public et l’administration ainsi que leur publication tardive, faisant obstacle à l’exercice du référé liberté, portaient une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’exercer un recours effectif.


Certains hommes politiques affirment qu’il faut savoir être « à portée de baffes » du peuple lorsque celui-ci fait montre de colère. Ceci n’est pas un appel à la violence, mais plutôt un rappel que la démocratie ne se joue pas seulement dans les urnes. Il ne faut pas avoir peur du peuple. De la même manière, il ne faut pas avoir peur du juge. Il faut donc mettre fin à ces manœuvres parfois grossières qui empêchent sa saisine. La démocratie en sortirait grandie.

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Président de FRD CONSULTING et de FRD LEARNING. Son expérience de juriste et d’avocat lui a notamment permis d'acquérir une solide expertise en droit immobilier public (droit de l’urbanisme, droit des collectivités territoriales, droit de l’environnement…).
- Spécialiste en droit public et en RSE
- DEA Droit public des affaires
- DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
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