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L’écriture inclusive relève de la langue française. N’en déplaise à ses détracteurs !

« Affirmer, face à la mondialisation de l’économie et des échanges transnationaux, notre exception linguistique francophone, et par là même, affirmer le droit aux grandes langues internationales d’exister face à l’anglais, uniformisateur de vie et de pensée. (…). Résister culturellement et linguistiquement en défendant, bec et ongles, la langue française face à l’hégémonie de la langue anglaise en France, en Europe et dans le monde ».

Tel est le crédo de l’Association FRancophonie AVenir (A.FR.AV). Loin de se cantonner à la défense de la langue française face à l’hégémonie de la langue anglaise, cette association a d’autres combats.

Elle considère ainsi que l’écriture dite « inclusive » n’est pas du français, cette écriture utilisenotamment le point médian pour faire apparaître simultanément les formes féminines et masculines d’un mot employé au masculin lorsque celui-ci est utilisé dans un sens générique.

En effet, l’A.FR.AV pense que l’écriture inclusive ne relève pas de langue française et a donc entamé en 2022 une action en justice contre la Ville de Paris qui avait apposé des plaques de marbre utilisant cette écriture. Plus précisément, en mars 2022, elle a demandé au Tribunal administratif de Paris d’annuler une décision implicite par laquelle la maire de Paris avait rejeté sa demande présentée le 30 décembre 2021 tendant au retrait de deux plaques commémoratives apposées dans l’enceinte de l’hôtel de ville et gravées en écriture inclusive.

Selon cette association, cette décision méconnaissait l’article 3 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française qui dispose que « toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinée à l’information du public doit être formulée en langue française (…) ». L’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 précise par ailleurs que « la langue de la  République est le français (…) ».

A l’aune de ces dispositions, est-il possible d’affirmer que l’utilisation de l’écriture inclusive par une collectivité publique est illégale ?

C’était la position de l’A.FR.AV.

Le Tribunal administratif de Paris (TA) l’a toutefois renvoyée dans ses cordes par un jugement en date du 14 mars 2023 (TA Paris, 14 mars 2023, n°2206681).

Selon cette juridiction, il ne résulte pas des dispositions précitées ni d’aucun autre texte ou principe que la graphie appelée « écriture inclusive », consistant à faire apparaître, autour d’un point médian, l’existence des formes masculine et féminine d’un mot ne relève pas de la langue française. Pour le tribunal, les circonstances que le ministre de l’Éducation nationale ait proscrit son utilisation à l’école par une circulaire du 5 mai 2021 ou que l’Académie française se soit déclarée opposée à son usage dans une lettre ouverte du 7 mai 2021 restent sans incidence sur la légalité de la décision attaquée qui était attaquée devant lui.

Les magistrats du TA de Paris ont donc pris l’exact contre-pied des positions de Jean-Michel Blanquer (ancien ministre de l’Éducation nationale) et de l’Académie française.

En effet, selon la circulaire ministérielle du 5 mai 2021 précitée, « (…) dans le cadre de l’enseignement, la conformité aux règles grammaticales et syntaxiques est de rigueur. Deux conséquences en découlent. En premier lieu, il convient de proscrire le recours à l’écriture dite “inclusive”, qui utilise notamment le point médian pour faire apparaître simultanément les formes féminines et masculines d’un mot employé au masculin lorsque celui-ci est utilisé dans un sens générique. L’adoption de certaines règles relevant de l’écriture inclusive modifie en effet le respect des règles d’accords usuels attendues dans le cadre des programmes d’enseignement.

En outre, cette écriture, qui se traduit par la fragmentation des mots et des accords, constitue un obstacle à la lecture et à la compréhension de l’écrit. L’impossibilité de transcrire à l’oral les textes recourant à ce type de graphie gêne la lecture à voix haute comme la prononciation, et par conséquent les apprentissages, notamment des plus jeunes. Enfin, contrairement à ce que pourrait suggérer l’adjectif “inclusive”, une telle écriture constitue un obstacle pour l’accès à la langue d’enfants confrontés à certains handicaps ou troubles des apprentissages. En second lieu, l’usage de la féminisation des métiers et des fonctions doit être recherché.

De même, le choix des exemples ou des énoncés en situation d’enseignement doit respecter l’égalité entre les filles et les garçons, tant par la féminisation des termes que par la lutte contre les représentations stéréotypées ». Dans un tweet en date du 6 mai 2021, Jean-Michel Blanquer se permettait même le jeu de mots suivant : « Notre langue est un trésor précieux que nous avons vocation à faire partager à tous nos élèves, dans sa beauté et sa fluidité, sans querelle et sans instrumentalisation. Les points sur les i plutôt que le point médian ».

Quant à l’Académie française, dans sa lettre ouverte du 7 mai 2021, elle considère notamment que l’écriture inclusive « offusque la démocratie du langage (…) », « trouble les pratiques d’apprentissage et de transmission de la langue française déjà complexes (…) » et « installe un débat de l’entre-soi cantonné à un périmètre limité, au préjudice des étrangers désireux d’apprendre notre langue telle qu’elle leur est souvent transmise par de grands textes patrimoniaux (…) ». Rien que ça…

Que penser de ce débat devenu un vrai épouvantail politique ?

Avant tout, politiquement, ce débat est trop souvent utilisé pour faire diversion notamment pour fustiger ce que certains considèrent comme du féminisme exacerbé. Refusons cette instrumentalisation.

La véritable difficulté pour les élèves c’est l’apprentissage de l’orthographe. La forme écrite de notre langue est restée figée depuis des siècles alors que la forme orale, elle, ne cesse d’évoluer. Or, les responsables politiques refusent de voir la langue écrite évoluer. Le problème est peut-être là…

Ce débat s’inscrit en réalité dans le cadre du combat de l’égalité entre les femmes et les hommes, combat qui a trouvé depuis plusieurs années maintenant de réelles traductions juridiques.

Au niveau national, en 1986, une circulaire du 11 mars relative à la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades et titres est venue entériner le travail de la commission de terminologie afférente, créée par la ministre Yvette ROUDY et présidée par la journaliste Benoite GROULT. La loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes du 4 août 2014, a consacré en son article 1, « une approche intégrée de l’égalité » dans tous les domaines. La communication écrite relève donc de cette approche.

Au niveau européen, le 21 février 1990, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe adopte la recommandation (R-90-4), sur l’élimination du sexisme dans le langage. Elle dispose que « le sexisme dont est empreint le langage en usage dans la plupart des États membres – qui fait prévaloir le masculin sur le féminin – constitue une entrave au processus d’instauration de l’égalité entre les femmes et les hommes du fait qu’il occulte l’existence des femmes qui sont la moitié de » humanité, et qu’il nie l’égalité de la femme et de l’homme ». En 2008, le Conseil de l’Europe appelle à « l’élimination du sexisme dans le langage et la promotion d’un langage reflétant le principe d’égalité entre les femmes et les hommes » (Recommandation CM/Rec(2007)17).

Le HCE – Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes – créé le 3 janvier 2013 par François Hollande et qui a pour « mission d’assurer la concertation avec la société civile et d’animer le débat public sur les grandes orientations de la politique des droits des femmes et de l’égalité » s’est prononcé à plusieurs reprises depuis sa création sur l’écriture inclusive. Cette instance consultative indépendante y est favorable, voyant en elle une approche égalitaire du langage.

Difficile sincèrement de voir les choses autrement. Ne devrait-on pas dès lors souscrire à cette approche plutôt que d’alimenter des débats sans fin sur la langue française qui doit rester vivante et n’être en réalité que le reflet de notre société ?

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Président de FRD CONSULTING et de FRD LEARNING. Son expérience de juriste et d’avocat lui a notamment permis d'acquérir une solide expertise en droit immobilier public (droit de l’urbanisme, droit des collectivités territoriales, droit de l’environnement…).
- Spécialiste en droit public et en RSE
- DEA Droit public des affaires
- DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
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