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Environnement : le Gouvernement n’en fait pas assez pour réduire les émissions de gaz à effet de serre !

Depuis quelques années, le Conseil d’État rend régulièrement des décisions de justice montrant sa prise en compte de la protection de l’environnement. À titre d’illustration, en septembre 2022, les Juges du Palais-Royal ont jugé que « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » constitue une liberté fondamentale (CE, 20 septembre 2022, n° 451129, publié au Lebon). Récemment, toujours en matière environnementale, plus précisément s’agissant des mesures permettant d’atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il a estimé que, si des mesures ont bien été prises et traduisent la volonté du Gouvernement d’exécuter la décision, il n’est toujours pas garanti de façon suffisamment crédible que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre puisse être effectivement respectée (CE, 10 mai 2023, n° 467982).

Saisi notamment par la Commune de Grande-Synthe et plusieurs associations de défense de l’environnement, le Conseil d’État avait ordonné au Gouvernement en juillet 2021 de prendre toutes les mesures permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites en France pour garantir sa compatibilité avec les objectifs fixés par le législateur français en cohérence avec l’Accord de Paris (- 40 % d’émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990) avant le 31 mars 2022 (CE, 1er juillet 2021, n° 427301, publié au Lebon). Antérieurement à cette décision du 1er juillet 2021, le Conseil d’État avait demandé au Gouvernement de justifier, dans un délai de trois mois, que la trajectoire de réduction des gaz à effets de serre pour 2030 (- 40 % par rapport à 1990) pourrait être respectée sans mesures supplémentaires (CE, 19 novembre 2020, n° 427301, publié au Lebon). La nouvelle décision du Conseil d’État en date du 10 mai 2023 s’inscrit dans ce processus judiciaire puisqu’il s’agissait de vérifier si les actions menées traduisent une correcte exécution de sa décision du 1er juillet 2021.

Qu’en est-il alors ? La réponse est non. Le Conseil d’État a en effet estimé dans sa décision du 10 mai 2023 que, si des mesures supplémentaires ont bien été prises et traduisent la volonté du Gouvernement d’exécuter la décision, il n’est toujours pas garanti de façon suffisamment crédible que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre puisse être effectivement respectée. C’est pourquoi le Conseil d’État a ordonné au Gouvernement de prendre de nouvelles mesures d’ici le 30 juin 2024, et de transmettre, dès le 31 décembre, un bilan d’étape détaillant ces mesures et leur efficacité. Comment le Conseil d’État a-t-il procédé pour arriver à cette conclusion insatisfaisante pour le pouvoir exécutif ?

Il a examiné si les mesures prises par le Gouvernement, ou qui peuvent encore être adoptées pour produire des effets dans un délai suffisamment court, permettent que la courbe des émissions de gaz à effet de serre soit compatible avec l’atteinte des objectifs fixés à l’échéance 2030. Il a dû, à ce titre, examiner si les objectifs intermédiaires ont été atteints, si les mesures adoptées ou annoncées sont de nature à réduire les émissions de gaz à effet de serre, ou au contraire risquent d’augmenter ces émissions. Il a pris, enfin, en considération les effets constatés ou prévisibles de ces différentes mesures et, plus largement, l’efficacité des politiques publiques mises en place, au regard des méthodes d’évaluation disponibles, notamment les avis émis par les experts, dont le Haut conseil pour le climat.

Pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % par rapport au niveau de 1990, le Gouvernement a adopté une trajectoire de diminution de ces émissions s’étendant sur 4 périodes dites budgets carbone (2015-2018, 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033), chacune comportant des objectifs de baisse des émissions. Les données publiées par le centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) montrent que jusqu’ici les objectifs 2019-2023, correspondant à une diminution moyenne des émissions de 1,9 % par an, pourraient être respectés. Les baisses des émissions annuelles sont très contrastées : – 1,9 % en 2019, puis – 9,6 % en 2020. Par ailleurs, les données provisoires disponibles montrent que les émissions sont reparties à la hausse en 2021 (+ 6,4 %) avant de redescendre à nouveau en 2022 (- 2,5 %), malgré une baisse particulièrement faible les 9 premiers mois de l’année. Le Conseil d’État a relevé qu’il existe une incertitude sur le point de savoir si ces résultats sont liés à des actions du Gouvernement ou au contexte particulier des dernières années, caractérisé par de fortes baisses de l’activité (2020, avec la pandémie de Covid-19 et deux confinements) puis à la crise de l’énergie (2022 avec la guerre en Ukraine).

Les éléments mis en avant par le Gouvernement montrent qu’un certain nombre de mesures ont bien été prises depuis le 1er juillet 2021, avec un budget alloué à leur financement et, plus largement, à la transition écologique et énergétique. Pour autant, le Conseil d’État a relevé que le Haut Conseil pour le Climat (HCC) dans son rapport 2022, estime qu’il existe un risque avéré que l’objectif de réduction pour 2030 ne soit pas tenu. Par ailleurs, le HCC constate que malgré la création d’un Secrétariat général à la planification écologique, un véritable pilotage reposant sur des indicateurs pertinents et sur une évaluation systématique de l’incidence des politiques publiques sur le climat n’est toujours pas mis en œuvre.

Ces éléments retenus par le HCC n’ont pas été sérieusement contestés par le Gouvernement. Compte tenu de la nécessité d’accélérer la réduction des émissions dès 2024 et dans la perspective des nouveaux objectifs adoptés par l’Union européenne pour 2030 (- 55 % par rapport aux niveaux de 1990), le Conseil d’État a estimé que les mesures prises à ce jour ne permettent pas de garantir, de façon suffisamment crédible, que la trajectoire de réduction des émissions adoptée par le Gouvernement pourra être atteinte, notamment l’objectif de réduction de 40 % des émissions qui était en vigueur à la date de la décision du Conseil d’État du 1er juillet 2021.

En conséquence, au vu des développements qui précèdent, la Haute juridiction administrative conclut que sa précédente décision en date du 1er juillet 2021 ne peut être regardée comme ayant été exécutée, et adresse une nouvelle injonction au gouvernement, en lui demandant de prendre, d’ici au 30 juin 2024 toutes les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de – 40 % en 2030. Le Conseil d’État demande également au Gouvernement de transmettre d’ici le 31 décembre 2023 dans un premier temps, puis au plus tard le 31 juin 2024 tous les éléments justifiant à la fois qu’il a pris ces mesures et qu’elles sont de nature à permettre de respecter cet objectif. Cette injonction n’est toutefois assortie d’aucune astreinte.

Cette nouvelle décision de justice donne une nouvelle fois l’impression que la course contre la montre engagée contre le réchauffement climatique est perdue d’avance. Mais il ne s’agit malheureusement pas d’un problème uniquement national. S’agissant des mesures permettant d’atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les yeux sont en effet rivés sur les grandes puissances de ce monde et notamment la Chine et les États-Unis (qui détiennent le record en la matière…).

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Président de FRD CONSULTING et de FRD LEARNING. Son expérience de juriste et d’avocat lui a notamment permis d'acquérir une solide expertise en droit immobilier public (droit de l’urbanisme, droit des collectivités territoriales, droit de l’environnement…).
- Spécialiste en droit public et en RSE
- DEA Droit public des affaires
- DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
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