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Environnement : l’étau se resserre autour de l’État sur l’impact de la pollution de l’air sur la santé

Par deux jugements intéressants en date du 16 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a retenu l’existence d’un lien de causalité entre la carence fautive de l’État à lutter contre la pollution de l’air et les otites moyennes ayant affecté des enfants habitant à proximité du périphérique parisien (TA Paris, 16 juin 2023, n° 2019924 ; TA Paris, 16 juin 2023, n° 2019925). Ces décisions de justice ne sont pas anecdotiques, car elles sont le prolongement logique de plusieurs décisions du juge administratif ces dernières années.

Le 20 septembre 2022, les Juges du Palais-Royal ont jugé que « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » constitue une liberté fondamentale (CE, 20 septembre 2022, n° 451129, publié au Lebon). Cette décision de justice, publiée au recueil Lebon, fait désormais jurisprudence puisqu’elle classe ce nouveau droit parmi les nombreuses libertés fondamentales invocables par les citoyens devant le juge des référés au titre de l’article L.521-2 du Code de justice administrative selon lequel « saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

Récemment, toujours en matière environnementale, plus précisément s’agissant des mesures permettant d’atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le Conseil d’État a estimé que, si des mesures ont bien été prises et traduisent la volonté du Gouvernement d’exécuter la décision, il n’est toujours pas garanti de façon suffisamment crédible que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre puisse être effectivement respectée (CE, 10 mai 2023, n° 467982).

Dans les affaires ici commentées, le juge administratif a, pour la première fois à notre connaissance, retenu l’existence d’un lien de causalité entre la carence fautive de l’État à lutter contre la pollution de l’air et les otites moyennes ayant affecté de jeunes citoyens franciliens. Il a en effet été considéré dans ces jugements qu’il « appartient à la juridiction saisie d’un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d’une exposition à des pics de pollution résultant de la faute de l’État, de rechercher, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, s’il n’y a aucune probabilité qu’un tel lien existe. Dans l’hypothèse inverse, elle doit procéder à l’examen des circonstances de l’espèce et ne retenir l’existence d’un lien de causalité entre l’exposition aux pics de pollution subie par l’intéressée et les symptômes qu’elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus dans un délai normal pour ce type d’affection, et, par ailleurs, s’il ne ressort pas du dossier que ces symptômes peuvent être regardés comme résultant d’une autre cause que l’exposition aux pics de pollution ».

Ces jugements en date du 16 juin 2023 ont notamment pour fondement un arrêt important de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 22 décembre 2022 (CJUE, 22 décembre 2022, C-61/21) qui a jugé que :

« Les articles 3 et 7 de la directive 80/779/CEE du Conseil, du 15 juillet 1980, concernant des valeurs limites et des valeurs guides de qualité atmosphérique pour l’anhydride sulfureux et les particules en suspension, les articles 3 et 7 de la directive 85/203/CEE du Conseil, du 7 mars 1985, concernant les normes de qualité de l’air pour le dioxyde d’azote, les articles 7 et 8 de la directive 96/62/CE du Conseil, du 27 septembre 1996, concernant l’évaluation et la gestion de la qualité de l’air ambiant, l’article 4, paragraphe 1, et l’article 5, paragraphe 1, de la directive 1999/30/CE du Conseil, du 22 avril 1999, relative à la fixation de valeurs limites pour l’anhydride sulfureux, le dioxyde d’azote et les oxydes d’azote, les particules et le plomb dans l’air ambiant, ainsi que l’article 13, paragraphe 1, et l’article 23, paragraphe 1, de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe, doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’ont pas pour objet de conférer des droits individuels aux particuliers susceptibles de leur ouvrir un droit à réparation à l’égard d’un État membre, au titre du principe de la responsabilité de l’État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables ».

Selon le juge administratif, si, eu égard à cette solution rendue par la CJUE, qui a ainsi fait application d’un cadre minimal de responsabilité des États membres à l’égard des particuliers, qu’elle a forgé en cette matière, ces derniers ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance de ces articles de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe pour engager la responsabilité d’un État membre, ceci ne fait pas obstacle à la mise en jeu des règles spéciales moins restrictives de la responsabilité administrative de l’État en droit français. En effet, la solution de la CJUE n’exclut pas que la responsabilité de l’État puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit interne et que, le cas échéant, il puisse être, à ce titre, tenu compte de méconnaissances des obligations européennes en tant qu’élément susceptible d’être pertinent aux fins d’établir la responsabilité des pouvoirs publics sur un autre fondement que le droit de l’Union.

Dans les deux instances tranchées le 16 juin 2023, après avoir rappelé ce cadre juridique précis, le TA de Paris a jugé qu’il résulte de l’instruction, et notamment d’un rapport d’expertise de janvier 2023, que les études scientifiques apportent des arguments en faveur d’un lien entre pollution et survenue d’otites moyennes, notamment en ce qui concerne les dérivés oxygénés de l’azote, composés produits par les moteurs thermiques, irritants pour les voies respiratoires. Elles ont ainsi mis en évidence un lien entre l’augmentation des concentrations des polluants particulaires et l’augmentation de ces pathologies, avec des délais de deux à trois jours après l’augmentation des concentrations. Ces études ont mené les experts à considérer que le facteur attribuable à ce type de pollution sur les épisodes d’otite serait d’environ 30 %, attribuant ainsi un peu moins d’un épisode d’otite sur 3 ou sur 4 à la pollution. Les études rappellent également que les causes des otites moyennes peuvent être multiples, les principaux facteurs de risques étant la vie en collectivité, ainsi que le tabagisme parental.

Par la suite, dans un considérant particulièrement précis, le tribunal a jugé dans l’affaire portant le numéro 2019924 qu’il résulte de « l’instruction que B… D…, née le 15 mars 2014, a souffert, tout particulièrement entre mars 2015 et août 2018, d’épisodes d’otites moyennes à répétition, ayant conduit à la mise en place d’aérateurs transtympaniques bilatéraux et à l’ablation des amygdales le 12 janvier 2016, date à laquelle une surdité à 35 dB était notée. À plusieurs reprises, les symptômes manifestés par B… D… ont coïncidé avec des épisodes de pollution à dépassement de seuil. Ainsi, en 2015, des dépassements de seuils de pollution ont été enregistrés les 6, 7, 17 et 21 mars, et B… D… a souffert de conjonctivite, otorrhée et rhinite purulente le 16 mars, de fièvre le 24 mars, de fièvre et otite moyenne le 30 mars. De nouveaux dépassements ont été enregistrés les 8, 9 avril, et l’intéressée a consulté pour otite bilatérale le 10 avril. Le 21 avril, les seuils ont à nouveau été dépassés, et B… D… a consulté pour otite le 22 avril. En 2016, alors que des dépassements des seuils de pollution ont été enregistrés les 11, 12 et 18 mars, B… D… a souffert le 16 mars d’une conjonctivite et d’écoulements d’oreille, et le 23 mars de fièvre. En 2017, des dépassements de seuils ont été enregistrés le 5 décembre, et l’intéressée a consulté pour otite les 7 et 11 décembre. Si B… D… a fréquenté la crèche de septembre 2014 jusqu’à l’âge de trois ans, ses parents sont non-fumeurs, et leur logement ne comportait pas, selon eux, d’élément favorisant asthme ou allergies. En outre, la famille D… a résidé, de la naissance de B… jusqu’en août 2018, à environ 500 mètres du boulevard périphérique parisien, et une amélioration nette de l’état de santé de B… D… a été observée postérieurement au déménagement de la famille hors de la région parisienne. Il résulte, ainsi, de l’instruction qu’une partie des symptômes dont a souffert B… D… a été causée par le dépassement des seuils de pollution résultant de la faute de l’État. Par suite, M. D… et Mme C… sont fondés à demander à l’État la réparation des préjudices subis du fait de ces pathologies ». Le requérant a donc souffert de façon répétée d’otites moyennes aiguës ayant occasionné une perte d’audition temporaire. À ce titre, pour le TA de Paris, il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées, tant physiques que morales en condamnant l’État à payer aux requérants en réparation, à ce titre, la somme de 2 000 euros.

Sur la base du même raisonnement, dans l’autre décision n° 2019925 qui a été rendue le même jour par le TA de Paris, 3 000 euros ont été accordés aux demandeurs : 2 000 euros au titre des souffrances endurées et 1 000 euros au titre des troubles dans les conditions d’existence (les pathologies de l’enfant ont perturbé la vie familiale, en raison de la nécessité de le faire dormir dans la chambre de ses parents, des nuits difficiles avec épisodes fréquents de gêne respiratoire, et de l’éloignement d’une partie du cercle familial élargi lié au déménagement de la famille).

Toutes les autres demandes d’indemnisation au titre du préjudice d’anxiété, des préjudices patrimoniaux ou encore du préjudice moral d’angoisse face à l’inaction ou du préjudice moral d’anxiété face à une contamination ont été rejetées dans ces deux dossiers. Les sommes récoltées par les victimes de l’inaction fautive de l’État sont donc très modestes au regard des sommes initialement réclamées (219 000 euros et 222 000 respectivement dans chacun des deux dossiers).

Mais là n’est pas l’essentiel. La portée de ces décisions de justice – qui peuvent être frappées d’appel par les parties – va plus loin. Elles ouvrent la voie à d’autres actions indemnitaires de la part de citoyens dans d’autres domaines environnementaux. À titre d’exemple, les algues sargasses envahissent les littoraux des Antilles françaises (Martinique et Guadeloupe) et en se décomposant, libèrent des émanations de gaz toxique. Des études scientifiques sont en cours, des médecins du CHU de la Martinique ont, par exemple, en août 2022, lancé une étude sur les potentiels effets sur les poumons de ces émanations. En effet, depuis plusieurs années, nombreux sont les élus ou citoyens dénonçant le manque d’action des services de l’État en la matière s’agissant de l’échouage récurrent d’algues sargasses (même si des mesures sont prises : voir en ce sens TA Martinique, 18 juin 2020, n° 1900046). On pourrait ainsi alors imaginer, en cas d’études scientifiques probantes, des recours judiciaires pour inaction fautive de l’État dans ce domaine. Il incombe en effet aux autorités publiques chargées d’assurer la sécurité sanitaire et la protection de l’environnement d’arrêter, en l’état des connaissances scientifiques, au besoin à l’aide d’études ou d’enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et, si possible, éliminer ces dangers (TA Martinique, 18 juin 2020, n° 1900046 inspiré par CE, 31 mars 2017, n° 393190).

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Président de FRD CONSULTING et de FRD LEARNING. Son expérience de juriste et d’avocat lui a notamment permis d'acquérir une solide expertise en droit immobilier public (droit de l’urbanisme, droit des collectivités territoriales, droit de l’environnement…).
- Spécialiste en droit public et en RSE
- DEA Droit public des affaires
- DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
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