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Le combat des stèques   

“Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu.” C’est une citation de Bertolt Brecht. Au cœur de l’engagement, le combat, gagné ou perdu, a ses vertus, car il anime les passions.

En voici un exemple récent, truculent, lequel par définition étonne et réjouit finalement par le processus collatéral induit.

Le gouvernement a publié le 27 février 2024 un nouveau décret interdisant la dénomination de produits à base de protéines végétales par des mots faisant référence à la viande. Ce décret serait une bonne nouvelle pour les acteurs de la filière animale, qui estiment que des termes comme « steak végétal » ou « saucisse vegan » ont créé de la confusion chez les consommateurs.

Donc, les dénominations « lardons végétaux », « bacon végétal », « jambon végétal », on ne les verra plus, ce à quoi rétorque la marque La Vie auprès des Français : « On vous prend pour des jambons ! » dans son manifeste publié dans Libération.

Source : Instagram

Ce qui se dit à ce sujet : cela va à l’encontre des objectifs climatiques comme de la réindustrialisation du pays. Le décret ne s’applique en effet qu’aux marques françaises. C’est encore à cause des lobbies. Ces dénominations avaient comme vertu de faciliter la transition et de convertir les carnassiers à des produits meilleurs pour la santé et l’environnement. Et sans ces dénominations, les produits seraient « invisibles » !

Mais il y a aussi les contradicteurs sur les réseaux sociaux : pourquoi vouloir se nommer comme ceux que l’on voulait combattre ?  Avons-nous vraiment besoin d’une comparaison ? Pourquoi ne pas avoir la capacité d’inventer de vrais nouveaux noms ? Pourquoi maintenir une habitude alimentaire basée sur le référent de la consommation de viande ?

Face au décret, on en appelle à la créativité, à l’audace, à l’invention de nouveaux noms. Appelons un chat un chat, voilà !

Et puis, s’est déployée une déferlante humoristique. Via le Gorafi, émergent de nouvelles idées de consommateurs pour les packagings des produits La Vie : « ceci n’est pas un jambon », « mon nom est bon, jeanbon », « ça ressemble à qui tu sais », « sans porc et sans reproche ».

Astucieuse contre-proposition également de la marque Accro / Alternatives végétales « Même plaisir, nouvelle orthographe ». C’est ainsi que les boulettes deviennent des boulaites et les steaks, des stèques, et même les nuggets ont eu droit à une version « neugâtes » ! Oui, cela chiffonnerait un peu quand même, pour le respect de l’orthographe…

Source Instagram

Ou encore, ironie du sort de l’Avant-Après, les merguez végétales et piquantes de la marque HappyVore afficheraient qu’elles deviennent des « tiges cylindriques à bouts ronds » (mais toujours piquantes, rassurez-vous).

Source Instagram

Bref, toute cette effervescence communicationnelle aurait eu un bel impact sur les ventes végétales, d’après ce que l’on en dit. La mobilisation engagée, dans un flot de remous, produit ses effets au rythme d’une crise qui devient, comme souvent, une opportunité !

Mais ces batailles sur les mots, au fond, nous ramènent bien à la question de nos perceptions. George Berkeley (1685-1753), philosophe empiriste de la connaissance, écrivait que « Être, c’est être perçu ». Une chose n’existe pas indépendamment de la perception que nous voulons en avoir. Selon lui, le monde n’est constitué que des idées et des esprits qui les perçoivent. Dans sa pensée, chacun de nous serait enfermé dans son propre monde.

C’est bien ce que recèle ce combat des stèques contre les steaks.

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Frédérique Lenglen, sociologue de formation, est une experte reconnue de la communication sociétale. Elle a développé très tôt une approche sensible des marques « actrices de société » devant s’engager plus haut et fort sur des mutations cruciales. Depuis 20 ans, elle se passionne en parallèle pour l’innovation et l'adaptation aux changements, embarquée sans cesse dans de nombreux défis (technologie, science, santé, soin de soi, consommation, environnement, énergie …) qui l’ont conduite notamment à développer des observatoires sociétaux novateurs.Tout au long de son parcours, elle conseille et accompagne des marques historiques, des organisations et fédérations, également des créateurs et pionniers, pour faire émerger et conduire de nouvelles dynamiques de communication et relations publiques. Volontariste dans ce nouveau monde constitué d’influences complexes, communautés agissantes et écosystèmes d’acteurs renouvelés, elle dirige actuellement l’agence PPR au sein du groupe WPP pour déployer des programmes fondés sur le sens, l’empathie sociétale, l’engagement et l’action.

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