Interview Bertrand Coty
Quel est l’impact de la mise en application de la directive européenne CSRD pour les entreprises et plus spécifiquement sur l’activité des cabinets d’experts-comptables ?
La directive CSRD, récemment transposée en droit frais et les normes ESRS liées constituent avant tout un outil de pilotage de la trajectoire des entreprises vers des modèles d’affaires durables, avant même d’être un instrument de transparence. Lorsque l’information est requise par les normes ESRS et que l’enjeu est matériel pour l’entreprise, elle doit alors publier en la matière ce qu’elle a fait, ou à défaut, publier ce qu’elle n’a pas fait.
Elle va également se fixer des objectifs à court/moyen/long terme sur ses indicateurs. Afin d’atteindre ses objectifs, elle devra piloter l’avancée de ceux-ci tout au long de l’année. Comme les indicateurs sont construits à partir du principe de double matérialité, ils prennent en compte non seulement la dimension financière, mais aussi l’impact environnemental et sociétal. Cela donne ainsi un aperçu global de la performance de la durabilité de l’entreprise.
D’autre part, l’objectif de la CSRD est de réaliser un reporting qui soit inscrit autant que possible dans l’esprit d’un rapport intégré, reprenant les données extra-financières et financières, permettant justement d’avoir une vision globale de la performance de l’entreprise. En l’occurrence, le rapport de durabilité présente une connectivité certaine avec les états financiers de l’entreprise.
La cohérence entre l’état de durabilité et les états financiers doit être assurée et expliquée pour les montants, les hypothèses et les projections importantes. Bien que la formalisation de la réconciliation sous la forme d’un tableau de passage entre les montants de l’état de durabilité et des états financiers reste facultative, les montants matériels provenant des états financiers doivent faire l’objet de l’insertion d’une référence.
Ainsi lier les éléments financiers et les éléments de durabilités donne une meilleure lecture de la performance de l’entreprise permettant de ne pas limiter cette performance sous le seul prisme financier.
Selon votre perception, les entreprises concernées par cette nouvelle obligation de transparence sont-elles prêtes ?
Les modalités d’application diffèrent selon la catégorie d’entreprise. Pour les entreprises qui étaient déjà concernées par la directive NFRD, elles capitaliseront sur ce qu’elles reportaient dans la déclaration de performance extra-financière et compléteront leurs informations en respectant le principe de double matérialité et en s’assurant que tout ce qui est matériel est bien couvert. Pour les ETI, non concernées par la directive NFRD, elles devront très rapidement définir leurs enjeux matériels, se fixer des objectifs et les inclure dans leur stratégie générale. Pour les PME cotées, qui devront répondre à des normes allégées, elles devront également définir leurs enjeux matériels, se fixer des objectifs et les inclure dans leur stratégie générale.
Les ETI et les PME cotées auront également peu de temps pour mettre en application opérationnellement la nouvelle obligation et ne disposeront pas de base préalable de reporting de durabilité, sauf à l’avoir fait de manière volontaire. Les PME non cotées, bien qu’exclues du champ de la directive, se verront en effet réclamer des informations extra-financières par leurs donneurs d’ordre dès lors qu’elles seront incluses dans leur chaîne de valeur.
La potentielle difficulté rencontrée par les PME en tant que maillon de la chaîne de valeur pourrait être la surabondance des informations demandées par leurs divers donneurs d’ordre et par les auditeurs de durabilité de ces donneurs d’ordre. Les PME pourraient alors avoir à consacrer beaucoup de temps à collecter et fournir des données de durabilité.
Pour contrer cette difficulté, l’EFRAG travaille sur des normes de reporting volontaires qui serviraient justement de base aux PME et les prépareraient pour répondre plus facilement et efficacement aux donneurs d’ordre.
Les experts-comptables sont sensibilisés sur leur rôle à jouer pour accompagner les PME dans leurs démarches durabilité et pour inciter les dirigeants à appliquer si possible cette proposition de reporting volontaire.
Dans ce cadre, des travaux sont en cours au sein du Conseil national de l’ordre des experts-comptables, visant à aligner au mieux les attentes des grandes entreprises avec les indicateurs à venir du reporting volontaire. L’objectif étant in fine d’anticiper autant que possible la charge que pourrait représenter la durabilité pour les PME, et de leur proposer des solutions d’accompagnement. Cela les soulagerait dans leurs démarches et les ferait concomitamment avancer dans leur transition écologique, sociale et de gouvernance, de manière durable et responsable.
La CSRD est-elle une nouvelle contrainte qui pèse sur les entreprises ou est-ce également un levier de compétitivité ?
La NFRD précédemment appliquée a initié une harmonisation du reporting extra-financier pour les entreprises européennes de plus de 500 salariés. Elle concernait environ 11 000 entreprises européennes qui devaient fournir des informations sur quelques indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance. Pour autant, les données ESG obtenues via la NFRD contenues dans la déclaration de performance extra-financière pour les entreprises françaises étaient difficilement comparables puisque chaque entreprise utilisait des définitions et périmètres d’application différents. Les décideurs et investisseurs économiques se sont donc assez peu appuyés sur ces données. D’autre part, la NFRD n’intégrait pas la grande majorité du tissu économique européen, constitué essentiellement de TPE-PME. Il était alors difficile d’évaluer la performance ESG de la chaîne de valeur des entreprises.
La directive CSRD comble les lacunes de la NFRD :
Elle étend l’obligation de reporting extra-financier en Europe à plus de 50 000 entreprises : elle nécessite la publication de données fiables, comparables, pertinentes et transparentes, soumises à un audit. Elle impose également un balisage standardisé (en cours de définition) pour simplifier la lecture des rapports et optimiser la comparabilité au niveau national et européen ; elle introduit le principe de double matérialité qui prend en compte concomitamment l’intérêt financier de l’entreprise ainsi que l’impact environnemental et sociétal de l’entreprise. Cela donne une nouvelle vision de ce qui doit désormais être perçu comme matériel par les entreprises ; elle permet l’identification des impacts, risques et opportunités, qu’ils soient positifs, négatifs, à court, moyen et long terme.
Les nouveaux critères de reporting sont plus complets, répondent à des problématiques ESG variées et sont désormais normés (normes ESRS) et strictement définis afin de mieux rendre compte de la dimension qualitative. Elle constitue un véritable outil pour accompagner les entreprises dans leur transition vers des modèles d’affaires durables. Enfin, elle prend en compte toute la chaîne de valeur de l’entreprise, c’est à dire que par effet de capillarité, les PME et TPE jusqu’alors peu sollicitées, seront de plus en plus incitées à adopter les bonnes pratiques ESG au regard des relations qu’elles entretiennent avec de grands donneurs d’ordre soumis à la CSRD.
Pour toutes ces raisons, la CSRD constitue donc, selon nous, un progrès indéniable.
Comment percevez-vous l’engagement des entreprises sur les questions environnementales et notamment relatives à l’empreinte carbone ?
Beaucoup d’entreprises voient aujourd’hui de nombreux avantages dans la mise en place d’une démarche environnementale active : l’adoption des pratiques environnementales vertueuses améliore l’image de l’entreprise auprès des clients, des partenaires commerciaux et de la communauté locale. Les consommateurs sont de plus en plus sensibles aux entreprises qui montrent un engagement envers des valeurs environnementales. Les employés sont également souvent attirés par des entreprises qui intègrent des pratiques responsables. Certaines initiatives, telles que l’efficacité énergétique, la réduction des déchets et l’utilisation durable des ressources, peuvent conduire à des économies financières à long terme. Enfin, de nombreuses entreprises, y compris les grandes entreprises et les organismes gouvernementaux, préfèrent travailler avec des partenaires commerciaux qui intègrent des pratiques respectueuses de l’environnement.
Par ailleurs, la RSE peut aider les TPE à rester en conformité avec les réglementations locales et internationales en matière d’environnement. Cela réduit les risques juridiques et renforce la stabilité opérationnelle. Sans oublier que la recherche de solutions durables peut stimuler l’innovation au sein de la TPE. Trouver des façons plus efficaces et respectueuses de faire des affaires peut conduire à des avantages concurrentiels.
Pour résumer, la prise en compte des questions environnementales dans une TPE-PME peut apporter des avantages significatifs, tant d’un point de vue éthique que financier, en renforçant la réputation de l’entreprise et en contribuant à sa durabilité à long terme. Cette prise en compte peut être renforcée par l’établissement d’un bilan carbone® permet de calculer les émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise.
Cécile de Saint Michel est présidente du Conseil national de l’Ordre des experts-comptables (CNOEC) depuis le 21 décembre 2022. Elle dirige également le cabinet CSM EXPERTISE qu’elle a fondé en 2000 qui compte une vingtaine de collaborateurs. Son engagement au sein de la profession l'a menée à occuper des fonctions institutionnelles clés, incluant la vice-présidence du CROEC Île-de-France en 2016 et la présidence de l'ASFOREF, contribuant significativement au développement de l’Institut Régional de Formation (IRF) et de l’école Sup’Expertise. Elle a également été trésorière de la CPME et de la Chambre de commerce et d'industrie de Seine-et-Marne. Elle a fait de la formation, de la digitalisation de la profession et de la durabilité les priorités de son mandat à la tête de l’Ordre des experts-comptables.