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Marie-Agnès Gillot, l’extrême et la mesure

Marie-Agnès Gillot @ Lisa Roze

Laurine Rousselet : Dans le livre Marie-Agnès Gillot, Sortir du cadre (2022), tu écris, chère Marie-Agnès, que dans la transmission de ton art, « apprendre à travailler à la sensation » relève d’une nécessité primordiale. Comment parviens-tu à enseigner cette faculté de communication des sensations qui confère à la danse, en particulier avec la profondeur et la véracité des émotions, son pouvoir d’évocation constant ?

Marie-Agnès Gillot : Pour se souvenir de la sensation, il faut se placer sur un plan purement technique. La sensation est un repère. Elle se ressent, soit par la douleur, soit par ce que j’appellerais des « clés », c’est-à-dire quand ça bloque. Les plus grands danseurs ont développé une mémoire extraordinaire de la sensation, ce qui fait que, s’il manque dans la chaîne musculaire et articulaire engagée un maillon, nous reconnaissons immédiatement la fausseté du mouvement. En danse classique, toute notre éducation se fait face à un miroir. Nous n’en avons plus besoin à partir d’un certain stade, évidemment. En danse contemporaine, ce miroir n’existe pas. Pour les représentations des grands ballets classiques, les maîtres de ballet retirent notre reflet une semaine avant d’aller en scène. Quand je suis face à mes élèves, petits ou grands, je leur dis tout le temps : « Tu as senti » ?

L.R. : Ta phrase suivante marque : « Mon âme peut-elle aller vers une physicalité morale ? » Pourrais-tu développer ta pensée ?

M-A.G. : Les termes « physicalité morale » signifient avant tout que je ne « pense » pas, je m’explique, que je fais que des sensations dans ma tête. Je vis par et grâce aux vibrations qui m’enveloppent, qui me poussent, qui m’élèvent. Mon instinct est le mot le plus précieux à conserver et à nourrir et à laisser libre.

L.R. : Ta phrase suivante marque : « Mon âme peut-elle aller vers une physicalité morale ? » Pourrais-tu développer ta pensée ?

M-A.G. : Les termes « physicalité morale » signifient avant tout que je ne « pense » pas, je m’explique, que je fais que des sensations dans ma tête. Je vis par et grâce aux vibrations qui m’enveloppent, qui me poussent, qui m’élèvent. Mon instinct est le mot le plus précieux à conserver et à nourrir et à laisser libre.

L.R. : Il y a des rencontres déterminantes dans la vie. Elles nous révèlent à nous-mêmes. Tu parles de Claude Bessy (danseuse étoile, directrice du Ballet de l’Opéra, directrice de l’École de danse de l’Opéra, chorégraphe, pédagogue) avec beaucoup de chaleur et d’admiration. Il semble qu’elle ait touché en toi un lieu très profond. Quel est le chemin initiatique qu’elle a pu t’offrir ?

M-A.G. : Enfant, à l’âge de neuf ans, Claude Bessy m’a beaucoup humiliée. Cela faisait partie de sa manière d’enseigner. Sa vérité de danse était précieuse. Si elle ne m’avait pas vexée au plus profond de moi, je ne me serais pas bagarrée. Elle a réveillé le tigre en moi. Car j’étais douce et timide. À l’époque, la technique d’enseignement était celle-ci. J’étais donc enfant. J’étais sensible et naïve. Or, pour prétendre devenir une danseuse étoile, il faut être dure, et pas « faible ». Claude Bessy a amené la modernité, sa propre musicalité, et puis les chorégraphes, pas n’importe lesquels. Elle est très open mind, elle a ouvert une école de danse de l’Opéra de Paris à Nanterre. Elle était très moderne.

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Les Entretiens de Laurine Rousselet pour EXPERIMENTAL POETIC

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