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Ce qui nous attend

Interview Bertrand Coty

Dominique Trinquand, vous analysez dans votre dernier ouvrage publié chez Robert Laffont « Ce qui nous attend » les effets de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Selon vous, la déstabilisation globale produite par cette action était-elle envisagée par Vladimir Poutine, ou en est-elle une conséquence non maîtrisée ?

Je considère que la guerre en Ukraine est un épiphénomène dans lequel la Russie s’est enfermée. Le vrai combat du président Poutine est de rebattre les cartes de l’organisation du monde. Il l’avait annoncé en 2007 à Munich et à l’époque peu de monde l’avait entendu.

L’effet papillon de cette crise initiée par la Russie est donc de remettre en cause le leadership unilatéraliste américain et de construire un monde multilatéral où la Russie tiendra une place majeure. Mais le président Poutine ne s’est pas rendu compte qu’en fait il travaille pour la Chine et que la Russie aura la portion congrue de ce nouvel ordre mondial. La Russie mène également un combat civilisationnel pour une société traditionnelle, loin des tendances actuelles d’une partie de l’Occident. À ce titre il reçoit le soutien de nombreux pays qui en ont assez des leçons données par les Occidentaux. L’effet papillon ne conduit pas à la construction d’un nouveau monde mais la destruction de l’ancien. 

L’affaiblissement du clan occidental est une résultante largement commentée. Est-ce, comme le disent certains, une crise des valeurs ou un manque d’engagement et de leadership de nos sociétés ?

Les deux sont liés. L’affaiblissement du clan occidental est d’abord la conséquence des erreurs américaines après le 11 septembre. Les États-Unis ont choisi en 2003 d’attaquer l’Irak, ce qui a provoqué le bouleversement que l’on connait au Moyen-Orient, conduisant à la naissance de Daech et à l’instabilité dont nous mesurons aujourd’hui encore les effets.

La crédibilité des États-Unis a été sérieusement entamée et l’impact de cette erreur est toujours d’actualité. Globalement l’Occident est assimilé aux États-Unis et est contesté après les erreurs de W Bush, les atermoiements de Barack Obama et les foucades de Donald Trump.

Par ailleurs nos valeurs qui sont celles de l’engagement et de l’altérité et soutiennent la démocratie sont flageolantes. Dans mon livre je souligne qu’il y a péril en la demeure si nous ne traitons les risques internes qui guettent nos sociétés. Je donne  comme exemple l’autoritarisme, le djihadisme et l’individualisme sans que cela soit exhaustif. Nos sociétés doivent d’abord se renforcer avant d’espérer inspirer le monde.

Je crois qu’il s’agit de la fin de l’illusion d’une extension de la démocratie dans le monde (parfois par les armes comme en Afghanistan ou Irak) et qu’il faut maintenant défendre la démocratie. En termes militaires je dirai que nous passons d’offensives ratées à une défense existentielle. 

Cette crise s’entrechoque avec l’écoanxiété qui prédomine dans nos sociétés. N’ajoute-t-elle pas le niveau de trop, incompatible avec la résilience que vous évoquez ?

Nous avons tous les éléments pour résister. Comme disait Thucydide: « il faut choisir, se reposer ou être libre. » Nous n’avons pas le droit de nous reposer. Il faut agir sur les ressorts que nous avons en nous. La vie n’est pas un long fleuve tranquille et la lutte est inhérente à la survie de notre espèce et notre société démocratique est typiquement à un degré d’évolution que nous devons défendre contre les menaces extérieures mais aussi intérieures.

Les États-Unis et l’Europe s’appuient sur une supériorité technologique pour exercer leur domination, n’est-il pas temps, pour affronter le monde qui vient, sur le plan militaire et sociétal, de considérer à côté de la puissance technologique la simplicité et l’engagement citoyen ?

Bien sûr, les valeurs morales sont le socle de notre résistance. Thucydide, encore lui,  disait: « la force de la cité ne réside ni dans ses remparts, ni dans ses vaisseaux, mais dans le caractère de ses citoyens ». Aujourd’hui il faut former la jeunesse aux défis pour qu’elle puisse construire le monde qui vient et cela ne se fera pas en lui faisant croire que tout est facile mais en lui démontrant qu’en luttant elle se construira un monde meilleur. 

éditions Robert Laffont
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Diplômé de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr, de l’école supérieure de guerre et du Royal College of defense studies de Londres, le Général Trinquand, est un spécialiste des relations internationales. En opérations, il commande un bataillon au Liban (1991-92) et, durant la crise d’ex-Yougoslavie (1993-95), il est appelé à conseiller deux commandants des forces onusiennes. A partir de 1998, il occupe plusieurs postes à responsabilité au sein de l’OTAN, de l’UE et de l’ONU. En 2010, il rejoint Marck&Balsan en tant que Directeur des relations extérieures. Il y est en charge des relations avec les organisations internationales et les gouvernements, français comme étrangers. En 2013, il met en place un groupement d’entreprises pour l’équipement de contingents déployés en opérations de maintien de la paix (OMP solutions). En 2023 il prend la présidence de DHT Conseil SAS. Le général Trinquand est un intervenant régulièrement dans les médias. Il est l’auteur de l’ouvrage « Ce qui nous attend » (Robert Laffont, octobre 2023), analyse géostratégique, politique et militaire du monde à venir.

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