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RSE et partage de la valeur

L’actualité récente a remis sur le devant de la scène le concept de dividende. Il a en effet été question successivement d’un dividende salarié, proposé par le président Macron, mais aussi d’un dividende écologique, tel qu’envisagé par le Crédit Mutuel ou la MAIF.

Il y a donc lieu d’être intrigué par cette double proposition de dividende, dans un temps aussi rapproché. Pourrait-il même y avoir d’autres idées de dividendes soumises prochainement ? En somme, les actionnaires n’auraient plus l’exclusivité d’une distribution de dividendes.

On a pu toutefois entendre dans les débats récents, notamment consacrés au dividende salarié, qu’un tel concept et mécanisme serait une absurdité. En effet, d’aucuns n’y verraient aucune justification, puisqu’il est bien connu que seuls les actionnaires sont apporteurs de capitaux. C’est là une idée d’une grande inexactitude, et qui relève de la pure désinformation. En effet, sur un plan théorique, et non juridique, les travaux de Margaret Blair (1996) ont bien montré que les salariés sont apporteurs également de capitaux. Il ne s’agit pas de capital financier, mais de capital humain.

Et d’ailleurs, un tel capital humain pourrait parfaitement être évalué en coût, puisque les années d’études d’une formation initiale ont bien un prix social parfaitement évaluable. Cet apport en capital humain représente comme pour les actionnaires une prise de risque des salariés. Ces derniers acceptent potentiellement le risque de perdre une partie de leur investissement s’il advenait que l’entreprise échoue et fasse faillite. Il s’en suivrait pour eux une perte d’emploi et potentiellement une période difficile avant de retrouver une nouvelle activité. En conséquence, la proposition d’un dividende salarié est parfaitement fondée théoriquement.

Qu’en est-il d’un dividende écologique ? L’affaire semble ici plus délicate, car la Nature appartient à la catégorie des parties prenantes muettes. Reste, comme l’énonçait récemment Emmanuel Faber dans l’un de ses discours, que le prix que nous payons pour les hydrocarbures n’intègre en aucun cas une évaluation du travail de la Nature qui s’est étalé sur des millions d’années géologiques. Nous ne rémunérons pas la Nature pour le travail qu’elle a accompli, comme d’ailleurs pour celui qu’elle accomplit gratuitement.

Nous ne payons pas les abeilles pour leur travail de pollinisation, mais nous payons certains agriculteurs qui utilisent des substances chimiques qui les tuent. En somme, toute activité humaine est indéniablement dépendante de la Nature, d’une manière plus ou moins directe. Cette dépendance est évidente dans les activités agricoles, elle le devient moins dans certaines activités industrielles ou de services. Toutefois, cette prise de conscience des services rendus par la Nature mériterait elle aussi parfaitement le développement d’un dividende dédié.

On peut dès lors soulever trois questions. Est-il possible de généraliser ce principe de dividende ? Qui devrait percevoir ces dividendes ? De quelle façon ces dividendes devraient-ils être utilisés ?

La première question relève effectivement d’une problématique plus générale, qui est celle du partage de la valeur. Or, sur un plan théorique, de même que pour les salariés ou la Nature, il serait en effet parfaitement possible d’étendre ce concept à l’ensemble des parties prenantes, sous réserve que lesdites parties prenantes apportent un élément de richesse matérielle ou immatérielle à l’entreprise. À titre d’exemple, dans le cadre d’une stratégie d’open-innovation, ou d’innovation ouverte, un groupe d’étudiants ayant participé à une étude, et proposé une excellente idée à une entreprise pourrait parfaitement être rémunérés sous la forme de dividendes intellectuels. Par extension, toute partie prenante pourrait avoir vocation à bénéficier de dividendes au prorata de sa contribution aux processus de création de valeur.

Reste à savoir quel acteur pourrait être le plus à même de dépenser chacun de ses dividendes. Dans le cas du dividende écologique, il semble que la MAIF et le Crédit Mutuel aient prévu eux-mêmes de décider de l’affectation de ces fonds. Est-ce la meilleure solution ? Cela mériterait débat. De même, les salariés seraient-ils les mieux placés pour gérer les fonds issus d’un dividende salarié ?

La bonne gestion de ces fonds représente également un vrai défi, et nécessiterait la mise en place de critères scientifiques de choix des bons projets de préservation ou de restauration de l’environnement naturel, et de maintien ou de développement du capital humain. A en juger sur ces deux aspects, il semble d’ailleurs que les investissements consentis jusqu’alors aient été très largement insuffisants.

Pour conclure, cette actualité récente des dividendes illustre combien la notion de RSE pourrait être subversive pour notre modèle économique, et l’amener à se réformer d’une manière beaucoup plus profonde qu’attendu.

Référence :

  • Blair Margaret M. (1996). Ownership and control: Rethinking corporate governance for the twenty-first century.
stephane-trebucq
Plus de publications

Stéphane Trébucq est professeur des universités, en poste au sein de l'IAE de Bordeaux et de l'Université de Bordeaux, rattaché au laboratoire IRGO - Institut de Recherche en Gestion des Organisations. Il est actuellement responsable du projet RSE en PME, et de l'axe transition écologique au sein du regroupement des laboratoires en sciences de gestion de Nouvelle-Aquitaine. Il est par ailleurs responsable de la chaire capital humain et performance globale, et co-rédacteur en chef des revues classées Recherche et Cas en Sciences de Gestion (RCSG), et Gestion et Management Public (GMP). Il a récemment présidé le conseil scientifique du congrès RSE de la fondation Oïkos et la remise du prix des Immatériels de l'Observatoire des Immatériels. Ses recherches et publications sont consacrées à la RSE et aux nouveaux outils de gestion intégrant les problématiques de durabilité et de performance globale.

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