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RSE et notation des entreprises

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La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) traduit la mise en œuvre des engagements, actions et résultats des entreprises en lien avec quatre niveaux de responsabilités, à savoir non seulement économiques et légales mais aussi morales et philanthropiques (Carroll, 1991).

Au cœur de la démarche RSE, il s’agit de répondre aux attentes exprimées par les parties prenantes, se traduisant par un niveau accru de transparence vis-à-vis des aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) (Fromont et al., 2022). Même s’il est possible de faire remonter les sujets de la RSE à des travaux très anciens, c’est à partir des années 1930 que l’on commence vraiment à formaliser la notion, avec Clark (1926), et encore plus avec Bowen, dans les années 1950.

Notons cependant que si la RSE correspond à la contribution de l’entreprise au développement durable, cette dernière notion n’a véritablement trouvé sa consécration officielle que très récemment, avec le rapport Brundtland en 1987.  La notation, quant à elle, initialement financière, est apparue dans les années 1920. Elle consiste à donner une opinion sur la capacité d’une entreprise à honorer ses obligations financières, ce qui revient à évaluer son risque d’insolvabilité et de faillite (Degos et al., 2012). Emises par des agences spécialisées réputées, comme Moody’s, Standard & Poor’s ou Fitch, les notes jouent un rôle d’information synthétique, exerçant un intérêt de la part des opérateurs des marchés financiers qui ne s’est jamais démenti. L’activité de notation classique des agences de notation a toutefois été remise progressivement en question au cours des vingt dernières années, avec l’émergence de nouveaux acteurs, occupant le créneau novateur de la notation extra-financière.

Ce mouvement a été lancé aux Etats-Unis en 1990, puis imité en Europe, notamment par la société KLD, initiales des trois fondateurs : Kinder, Lydenberg, Domini (Trébucq, 2013). La principale source d’information utilisée par ces agences n’est plus celle issue des états financiers et des rapports de gestion financiers, mais l’ensemble des informations issues des rapports de développement durable, ou RSE.

On veut notamment y déterminer dans quelle mesure l’entreprise respecte et traite correctement ses différentes parties prenantes, dans quelle mesure l’entreprise dépasse les standards des simples obligations légales, dans quelle mesure l’entreprise déroge à ses obligations de base, dans quelle mesure l’entreprise occulte une part problématique de ses activités dont les effets s’avèrent négatifs.

Comme dans le cas de la notation financière, le principe de ces agences consiste à exercer une forme de pression sur les entreprises, afin de disposer d’informations soit privilégiées, soit plus détaillées et mieux organisées, afin d’apporter une plus-value à leurs clients-utilisateurs. Dans un environnement où l’information ESG est souvent peu comparable, qualitative, mal organisée, le travail de notation extra-financière peut être considéré comme un gain de temps considérable. L’expertise acquise par les agences permet également d’asseoir leur légitimité, et permet à des gérants de fonds de s’appuyer sur ces sources d’analyse afin de crédibiliser leur offre de placements dits « socialement responsables ».

Ces fonds ISR, aidés par les notations extra-financières, peuvent relever de logiques diverses comme par exemple : – l’exclusion, en évitant les activités de secteurs contestés (alcool, tabac, pornographie, énergies fossiles) ou ayant recours à des pratiques controversées (travail des enfants, vivisection des animaux) ; les sélections de type « meilleur de la classe » ou « meilleur effort », visant à retenir secteur par secteur, les entreprises les plus avancées ou celles qui progressent le plus ; la sélection de type « thématique » ou en fonction des « effets », avec ici un sujet qui sert de fil rouge aux investisseurs, comme les énergies renouvelables ou l’impact social associé aux investissements ; une approche de type « activiste » consistant à exerçant des droits de vote, pouvant aller jusqu’à contester le management de l’entreprise dans ses objectifs poursuivis et ses résultats obtenus.

On dispose, à présent, de suffisamment de recul pour analyser la qualité des notations extra-financières. Les sous-notations ESG apparaissent anormalement corrélées, signalant problèmes méthodologiques de biais dans les analyses conduites souvent par un même analyste (Berg et al., 2019 ; Dorfleitner et al., 2015). Les recherches académiques ont également montré des écarts significatifs entre les méthodologies mobilisées (Chatterji et al., 2016). Ces incohérences peuvent venir affecter la bonne estimation du coût du capital des entreprises (Gibson et al., 2019). Enfin, des scandales comme celui d’ORPEA[1] en France ont montré la difficulté de ces agences à retraiter les déclarations des entreprises, et à saisir la réalité des activités et le degré éthique du management. En somme, et pour l’heure, un doute non négligeable subsiste sur la qualité des notations extra-financières.

Conscientes de l’importance des critères ESG dans le nouveau contexte de transformation du système capitaliste, toutes les agences historiques de notation financière ont racheté des structures de notation extra-financière. Il n’existe à ce jour quasiment plus d’agence de notation extra-financière exerçant sous pavillon européen. Cependant, l’Union européenne a développé une taxonomie verte. Celle-ci consiste à classer une activité en tant que durable si elle répond à au moins l’un de ces six objectifs suivants : atténuation du changement climatique ; adaptation au changement climatique ; utilisation durable et protection des ressources aquatiques et marines ; transition vers une économie circulaire ; contrôle de la pollution ; protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

A la suite de cette taxonomie, l’EFRAG, le groupe consultatif sur l’information financière auprès de la Commission européenne, a élaboré très récemment une première liste d’indicateurs extra-financiers et de rubriques qualitatives, dont la publication sera obligatoire à compter de 2025. Cette évolution du paysage réglementaire en Europe devrait faciliter l’appréciation des performances sociétales.

Il n’est cependant pas certain que l’information rendue obligatoire, fruit d’arbitrages et de compromis politiques, soit suffisante pour comprendre d’une manière pertinente les évolutions futures des entreprises, et leurs effets potentiels sur les flux futurs de trésorerie libre. Une question reste posée, à savoir celle de l’élaboration d’un modèle pertinent pour élaborer non seulement des notes intégrant les aspects financiers et extra-financiers, mais aussi des notes prédictives de la capacité des entreprises à se développer en respectant les attentes d’un management responsable. Or on sait qu’à l’échelon global, le compte n’y est pas. La concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère poursuit son cours, et les problèmes sociaux multiples subsistent.


[1] Acronyme pour Ouverture-Respect-Présence-Ecoute-Accueil. ORPEA est une entreprise privée spécialisée dans la gestion d’Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). https://www.orpeacorp.com/images/orpeafinance/pdf/Documentation/FR/2021/Pres_ORPEA_Resultats_S1_2021_FR_cd54f.pdf

Bibliographie

  • Autorité bancaire européenne (2021). EBA report – on management and supervision of ESG risks for credit institutions and investment firms.
  • Berg, F., Kölbel, J., Rigobon, R. (2022). Aggregate Confusion: The Divergence of ESG Ratings, Review of Finance, Volume 26, Issue 6, November 2022, pp. 1315–1344.
  • Bowen H. R. (1953), Social Responsibilities of the Businessman,
    Harper & Brothers.
  • Carroll, A.B (1991). The pyramid of corporate social responsibility: toward the moral management of organizational stakeholders, Bus. Horiz., 34 (4), pp. 39-48.
  • Clark J.M. (1939 [1926]), Social Control of Business, McGraw-Hill.
  • Chatterji, AK., Durand, R.;., Levine, DI., Touboul, S., (2016). Do ratings of firms converge? Implications for managers, investors and strategy researchers. Strat. Mgmt. J. 37 (8), pp.1597-1614.
  • Degos, J-G., Ben Hmiden, O., Henchiri, J.E., (2012). Les agences de notation financières : naissance et évolution d’un oligopole controversé, Revue française de gestion, n°227,                 pp. 45-65.
  • Dorfleitner, G., Halbritter, G., Nguyen, M., (2015). Measuring the level and risk of corporate responsibility – an empirical comparison of different ESG rating approaches. J Asset. Manag. 16 (7), pp. 450-466.
  • Fromont E., Vo T., Lux G., (2022). Impact de la qualité de la communication GES sur la valorisation des investisseurs dans un contexte réglementaire : le cas des entreprises du SBF 120, Comptabilité – Contrôle – Audit, vol. 28, n° 1, pp. 133-162.
  • Gibson, R., Krueger, P., Riand, N., Schmidt, P.S., (2021). ESG rating disagreement and stock returns, Financial Analysts Journal, vol 77, (4), pp. 104-127.
  • Trébucq, S. (2013). Une exploration autoethnographique de la finance durable. Gestion 2000, 30(6), 17-37.

Plus de publications

Oussama Ben Hmiden est professeur à l’ESSCA Ecole de Management et membre de l’ESSCA Research Lab, au sein du groupe de recherche Finance, Accounting & Management Control. Ses recherches et publications portent sur la notation financière et les agences de notation. Il est l’auteur de nombreux articles et membre du comité scientifique de revues académiques nationales et internationales. En parallèle de ses activités de recherche, il est fondateur de la spécialisation Finance d’entreprise en alternance et coordinateur local du parcours d’apprentissage en 4ème année. Il dispense par ailleurs plusieurs enseignements liés à la comptabilité internationale, l’évaluation et l’ingénierie financière.

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Plus de publications

Stéphane Trébucq est professeur des universités, en poste au sein de l'IAE de Bordeaux et de l'Université de Bordeaux, rattaché au laboratoire IRGO - Institut de Recherche en Gestion des Organisations. Il est actuellement responsable du projet RSE en PME, et de l'axe transition écologique au sein du regroupement des laboratoires en sciences de gestion de Nouvelle-Aquitaine. Il est par ailleurs responsable de la chaire capital humain et performance globale, et co-rédacteur en chef des revues classées Recherche et Cas en Sciences de Gestion (RCSG), et Gestion et Management Public (GMP). Il a récemment présidé le conseil scientifique du congrès RSE de la fondation Oïkos et la remise du prix des Immatériels de l'Observatoire des Immatériels. Ses recherches et publications sont consacrées à la RSE et aux nouveaux outils de gestion intégrant les problématiques de durabilité et de performance globale.

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