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Peut-on imaginer à terme, une norme internationale qui définisse la RSE et permette d’en évaluer les impacts  ?

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Depuis 2010, la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et la RSO (responsabilité sociétale des organisations) sont bien définies dans le cadre d’une norme ISO internationale, à savoir l’ISO 26000. On y lit clairement dès l’introduction : « Les performances d’une organisation vis-à-vis à la société dans laquelle elle opère, et vis-à-vis de son impact sur l’environnement, sont devenues une composante critique de la mesure de ses performances globales et de sa capacité à continuer à fonctionner de manière efficace ».

La notion d’impact, ici principalement écologique, est donc inhérente à l’approche RSE/RSO. On lit d’ailleurs dans le lexique associé à l’ISO 26000, la définition du devoir de vigilance, dont l’objet est de viser « à éviter ou atténuer les impacts négatifs sociaux, environnementaux et économiques, réels et potentiels, qui résultent des décisions ou activités d’une organisation sur tout le cycle de vie d’un de ses projets ou activités ».

Cependant, même si la norme finit par définir la notion même d’impact, à savoir comme « tout changement positif subi par la société, l’économie ou l’environnement », et naturellement consécutif à toute décision ou actions passées et présentes de l’organisation, elle ne fournit aucune notice méthodologique de la mesure de ces impacts. Néanmoins, ce serait particulièrement faire preuve de mauvaise foi de feindre que nous ne disposons d’aucune mesure en la matière, sous prétexte que l’ISO 26000 n’en met aucune en avant. La suite des normes ISO 14001 a fait le choix très clair de la méthodologie de l’ACV (analyse de cycle de vie) pour apprécier par exemple les impacts environnementaux. La communauté scientifique internationale a déjà produit un consensus sur les mesures d’impacts environnementaux, même si certaines normes comme la GRI (Global Reporting Initiative) en restent encore très éloignées.

L’un des principaux éléments d’actualité en termes de norme, affectant pour l’heure uniquement les sociétés européennes, correspond à la directive CSRD pour laquelle l’EFRAG a proposé une série d’indicateurs quantitatifs et rubriques qualitatives. La Commission européenne entend produire une normalisation des informations publiées, en matière d’aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance. Il reste à savoir si ces informations sont véritablement de nature à apprécier des changements, comme indiqué précédemment. Par ailleurs, rien ne permet de démontrer que les résultats obtenus par les entreprises sont la résultante de leur politique RSE. La ligne de frontière entre ce qui relève de la RSE et ce qui n’en relève pas est-elle si claire que cela ? Les entreprises disposent-elles toujours des informations et des modèles pour déterminer avec précision les effets de leur politique RSE ?

Pour l’heure, l’EFRAG a découpé les questions en grandes thématiques : réchauffement ou dérèglement climatique, pollution, eau et ressources marines, biodiversité et écosystèmes, utilisation des ressources et économie circulaire, gouvernance et management des risques, loyauté des pratiques, questions sociales en lien avec la main-d’œuvre. Toutefois, comme on peut le pressentir, ces mesures relèvent plus d’impacts intermédiaires que finaux. Ces indicateurs permettront-ils d’évaluer les impacts globaux en termes d’effets sur la santé humaine, l’épuisement des ressources, l’équilibre des écosystèmes ?

Par ailleurs, il semble qu’il y ait un conflit idéologique entre l’approche américaine et européenne autour du concept de double matérialité. En effet, dans l’approche américaine pragmatique, ce sont plus les impacts des transformations externes et leurs effets sur l’entreprise qui importent. Dans l’approche européenne, l’impact inverse, à savoir celui de l’entreprise sur son environnement est aussi fondamental.

Reste qu’en termes d’analyse de systèmes, on ne voit pas comment analyser l’un sans l’autre … Il semble qu’il n’y ait pas encore de consensus à l’échelon international, car les systèmes d’information en place et les modèles académiques proposés ne suivent pas. L’information est insuffisante, et la capacité à modéliser l’ensemble des interactions également. S’engage donc un match à l’échelle internationale et une nouvelle bataille, portée par les plus grandes sociétés cotées et leurs conseils, dans l’élaboration d’un système d’information partagé entre les acteurs privés et publics, et qui permettrait non seulement de mesurer les impacts, mais également d’en comprendre les moyens pertinents pour les éviter ou les atténuer. Derrière cette bataille se jouent des enjeux de suprématie mondiale, de maîtrise des technologies et des informations, et de détention des acteurs mondiaux pouvant jouer un rôle clé.

Il n’est donc peut-être pas surprenant que désormais la quasi-totalité des agences de notation extra-financières aient été rachetées par des acteurs américains. L’intérêt récent de l’IASB pour les questions de développement durable marque certainement aussi un tournant historique. Une nouvelle norme internationale sur les impacts émergera certainement, à condition qu’elle ne remette pas en question certains intérêts économiques. Il reste toutefois un travail de recherche considérable à accomplir. On peut s’interroger sur la pertinence d’un système élaboré par l’EFRAG qui incite les entreprises à publier des données globales sans publier les données source permettant d’estimer ces indicateurs. La RSE ne peut non plus être réduire à des indicateurs de résultat.

Elle s’inscrit aussi dans une dynamique, avec des engagements, et un relevé des actions, qui n’ont pas été pleinement et systématiquement envisagés par l’EFRAG., et des actions, qui n’ont pas été envisagées par l’EFRAG. En résumé, apprécier les impacts de la RSE supposerait une nomenclature beaucoup plus précise sur les actions engagées, et une analyse beaucoup plus systémique et scientifique. Cet horizon paraît encore bien lointain.

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Plus de publications

Stéphane Trébucq est professeur des universités, en poste au sein de l'IAE de Bordeaux et de l'Université de Bordeaux, rattaché au laboratoire IRGO - Institut de Recherche en Gestion des Organisations. Il est actuellement responsable du projet RSE en PME, et de l'axe transition écologique au sein du regroupement des laboratoires en sciences de gestion de Nouvelle-Aquitaine. Il est par ailleurs responsable de la chaire capital humain et performance globale, et co-rédacteur en chef des revues classées Recherche et Cas en Sciences de Gestion (RCSG), et Gestion et Management Public (GMP). Il a récemment présidé le conseil scientifique du congrès RSE de la fondation Oïkos et la remise du prix des Immatériels de l'Observatoire des Immatériels. Ses recherches et publications sont consacrées à la RSE et aux nouveaux outils de gestion intégrant les problématiques de durabilité et de performance globale.

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