Académique

Conseil

Académique

À la recherche des bases de données de la RSE

À l’heure du Big data, serait-il encore envisageable de progresser en termes de RSE sans disposer de données ? Or, s’il y a lieu de collecter des données en termes de RSE, encore faudrait-il être en capacité d’en déterminer la nature et l’origine.

De ce point de vue, il ne nous semble pas exister à ce jour un référencement clair et systématique de la question. Nous n’ambitionnons pas d’aboutir au travers de cette contribution dans un tel projet, mais nous aimerions cependant procéder à un premier état des lieux.

L’objet n’est pas seulement d’envisager les données principalement sous un angle interne, mais externe. C’est d’ailleurs probablement là la raison explicative du déficit de réflexion en la matière. En effet, tant que les données sont considérées sous un angle interne, la responsabilité de leur production en revient à l’entreprise, ce qui dans le même tend à masquer le problème des données externes. Leur acquisition n’en est pas moins cruciale si l’on souhaite améliorer le traitement des données internes.

Prenons le simple exemple d’une PME. Comment pourrait-elle interpréter correctement son taux d’absentéisme ou ses émissions de gaz à effet de serre sans disposer d’une base comparative ? La puissance publique a d’ailleurs montré à de nombreuses reprises l’importance d’imposer aux entreprises la publication de données normalisées, permettant de vérifier le traitement de certaines problématiques tout en facilitant la comparaison des entreprises entre elles. Ainsi en a-t-il été en 2019 de la loi Avenir Professionnel qui a conduit à l’index Pénicaud, sur l’égalité femmes-hommes.

On notera cependant qu’à ce jour, aucune base de données publique, accessible gratuitement, et couvrant l’ensemble des domaines clés de la RSE, n’a véritablement été constituée. La tentative de la ministre Olivia Grégoire de création d’une plateforme de partage de données, Impact.gouv.fr, s’est soldée, semble-t-il, par un échec. 40 PME ont participé, 18 ETI et 15 GE (grandes entreprises).

Qui plus est, l’interface de consultation des données n’est absolument pas ergonomique. Elle n’a à l’évidence pas été pensée pour faciliter les comparaisons inter-entreprises. Notons, par ailleurs, que l’approche élaborée pour cette plateforme était uniquement centrée sur des indicateurs, autant dire qu’elle était très partielle. L’analyse de la RSE ne saurait en effet reposer uniquement sur une logique quantitative. Elle requiert une information bien plus riche, et notamment qualitative. Entre les objectifs stratégiques poursuivis et les indicateurs, il y aurait en effet lieu de mieux documenter les actions engagées. Naturellement, dans l’hypothèse où il serait possible de disposer de données plus complètes, l’analyse statistique pourrait également permettre de mieux saisir les interactions possibles entre indicateurs.

La nouvelle directive CSRD s’appuyant sur les recommandations de l’EFRAG et sa proposition d’ESRS (European Sustainability Reporting Standard) devrait changer la donne. Celle-ci ne s’inscrira pas dans une démarche de volontariat, mais d’obligation. Il s’agira donc pour les entreprises concernées de rendre compte sur un jeu d’indicateurs quantitatifs et de rubriques qualitatives. Cependant, après analyse, on notera que l’ensemble des indicateurs sont orientés résultats. Autrement dit, les indicateurs précurseurs à suivre en amont des résultats obtenus en aval ont tout simplement été omis.

Si les bases de données publiques apparaissent décevantes, il y a lieu de relever les initiatives de constitution de bases privées, dont l’usage et l’exploitation sont payants. À titre d’exemple, l’ensemble des organismes ayant capté le marché des labels RSE, qu’il s’agisse de l’Afnor, de BCorp ou d’Ecovadis, ont accumulé de facto des données descriptives très riches sur leurs clients. De même, la société de conseil gérant le label Lucie a constitué une base importante référençant les actions possibles en termes de RSE. Le coût d’accès à ces informations, bien que privées, n’apparaît pas cependant prohibitif. Dans le cas des entreprises cotées, d’autres opérateurs comme Refinitiv ou Standard & Poor’s ont démontré une capacité impressionnante à collecter des données, ainsi qu’à les retraiter et finalement à les mettre à disposition de leurs clients, dans la plupart des cas, gérants de fonds.

Reste qu’un immense travail de structuration et de partage de la donnée reste à accomplir. On peut déplorer qu’à ce jour, en France, la puissance publique n’ait toujours pas déployé une expertise en la matière, pouvant devenir un réel levier de création de valeur pour les entreprises. Aux dires d’un des responsables de la plateforme RSE, la démonstration des effets économiques de l’engagement en matière de RSE reste encore à réaliser. Il y a donc lieu de lancer urgemment un programme de recherche scientifique adossé à une collecte de données organisée et systématique. La RSE sans data aboutira à une impasse. Seule une volonté politique affirmée nous permettra d’en sortir.

stephane-trebucq
Plus de publications

Stéphane Trébucq est professeur des universités, en poste au sein de l'IAE de Bordeaux et de l'Université de Bordeaux, rattaché au laboratoire IRGO - Institut de Recherche en Gestion des Organisations. Il est actuellement responsable du projet RSE en PME, et de l'axe transition écologique au sein du regroupement des laboratoires en sciences de gestion de Nouvelle-Aquitaine. Il est par ailleurs responsable de la chaire capital humain et performance globale, et co-rédacteur en chef des revues classées Recherche et Cas en Sciences de Gestion (RCSG), et Gestion et Management Public (GMP). Il a récemment présidé le conseil scientifique du congrès RSE de la fondation Oïkos et la remise du prix des Immatériels de l'Observatoire des Immatériels. Ses recherches et publications sont consacrées à la RSE et aux nouveaux outils de gestion intégrant les problématiques de durabilité et de performance globale.

A lire aussi sur le sujet

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Translate »