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RSE, impact et efficience : la nouvelle équation de la politique de prix du médicament

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À l’heure où la France doit concilier redressement des finances publiques et accélération des grandes transitions écologique, sociale, sanitaire et industrielle, les choix budgétaires exigent de dépasser les tensions entre court et long terme pour engager des actions concrètes et sécuriser notre avenir collectif.

Pour y parvenir, l’État doit pouvoir s’appuyer sur la force de transformation que représentent les entreprises, car ce sont elles qui, à travers leurs choix d’investissement, d’innovation, de production, structurent durablement nos modèles économiques, nos territoires et nos modes de vie.

Le secteur de la santé incarne pleinement cette tension entre impératifs budgétaires et objectifs de transformation, tant il concentre des défis majeurs de souveraineté, d’équité et de transition écologique. C’est dans ce contexte que François Bayrou, Premier ministre, Haut-Commissaire au Plan, a appelé dans une lettre adressée le 26 juin dernier à Virginie Beaumeunier, présidente du Comité économique des produits de santé (CEPS), à bâtir « une véritable stratégie industrielle de santé ». Il s’agit de repenser les mécanismes de fixation des prix des médicaments largement guidés par une logique de maîtrise budgétaire. Au-delà, cette ambition engage directement la responsabilité sociale des entreprises pharmaceutiques (RSE) et leur rôle dans la construction d’un système de santé plus efficient, moins carboné et plus résilient sur le long terme. Ces dernières sont ainsi incitées à démontrer, par la preuve, leur utilité médicale, sociale et environnementale.

À l’instar d’autres secteurs, les entreprises pharmaceutiques engagées dans une démarche RSE, s’attachent à réduire leurs externalités négatives tout en générant des impacts positifs pour la société, à travers leurs projets, produits et services. Concrètement, au-delà de leur valeur médicale, certains projets et traitements contribuent au bon fonctionnement du système de santé et consolident les efforts des professionnels de santé pour des soins plus pertinents : réduction des hospitalisations, amélioration de la prévention et de la qualité de vie, optimisation des parcours de soins, diminution de leur empreinte carbone, développement de l’accès aux soins dans les territoires fragiles, ou encore contribution à des démarches de relocalisation industrielle et d’économie circulaire. Par exemple, une nouvelle galénique améliore l’observance, réduit le temps de travail du personnel hospitalier, réduit les déchets et l’impact carbone par une baisse des hospitalisations et des déplacements de patients. Il est possible de quantifier cette valeur médico-sociale et environnementale en termes de coût et d’émissions évitées et d’évaluer ainsi la contribution des industriels et des médicaments à l’efficience et à la soutenabilité du système de santé.

Cependant, ces bénéfices positifs sont très peu pris en compte par les dispositifs d’évaluation des traitements alors même qu’ils devraient contribuer à fonder la légitimité de l’engagement de la solidarité nationale dans leur prise en charge, dans la durée. C’est pourquoi, l’intégration explicite de cette valeur sociétale dans les critères de fixation des prix des médicaments apparaît comme une opportunité politique, en réponse à la nécessité de concilier rigueur budgétaire et objectifs de long terme. Cette nouvelle conception de la valeur d’un traitement permettrait de mieux refléter l’utilité globale d’une prise en charge y compris dans des logiques d’enveloppes budgétaires qui en faciliteraient l’intégration dans les circuits de régulation actuels. Elle constituerait ainsi une réponse à la fois opérationnelle et stratégique aux attentes croissantes des acteurs publics, tout en valorisant les efforts en matière de RSE et d’innovations responsables portés par les entreprises du médicament.

Cette évolution ne nécessite pas de réforme institutionnelle et peut s’appuyer sur la CEESP (Commission d’évaluation économique et de santé publique) dont la mission est justement de produire des expertises médico-économiques et systémiques. La CEESP pourrait ainsi devenir le bras armé de cette nouvelle approche de la valeur, en enrichissant les évaluations de prix de co-bénéfices sanitaires, sociaux, territoriaux et environnementaux. Cela permettrait de renforcer l’efficience collective sans bouleverser les structures existantes.

Au-delà, ces évaluations auraient pour vertu de produire des données d’impact sociétal utiles à l’ensemble des acteurs concernés – professionnels de santé, décideurs publics, territoires, industriels. Ces indicateurs alimenteraient une dynamique vertueuse d’innovation responsable, ancrée dans l’intérêt collectif et la soutenabilité du système de santé. Enfin, cette proposition trace les contours d’une transition vers une économie plus coopérative axée sur la valeur d’usage des produits de santé, adaptée aux défis contemporains transformant progressivement notre manière de produire et de consommer des soins.

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Nathalie Gimenes est docteure en sciences de gestion, conférencière, essayiste, consultante experte en stratégie et gouvernance d’entreprise (RSE, raison être, société à mission), directrice pédagogique de formations pour cadres dirigeants et décideurs au sein de l’École des MINES ParisTech | PSL Executive Education, et enseignante vacataire à l’Université Paris Dauphine. Ses travaux de recherche s’intéressent au lien entre RSE et modèles d’affaires, lien qu’elle a particulièrement analysé dans l’industrie pharmaceutique où elle a passé 26 ans de sa carrière professionnelle.

Nathalie Gimenes est présidente de BE-CONCERNED   
« Accélérer le développement d'un monde des affaires responsable et solidaire »

Nathalie est également l’auteure de l’ouvrage « Industrie pharmaceutique : l’heure du choix », publié aux Éditions de L’Observatoire, 2021

www.linkedin.com/in/nathalie-gimenes
Twitter : @GimenesNathalie

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Martin Blachier, médecin de santé publique, Co-fondateur de Public Health Expertise

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