
PAYSAGE, DES PASSAGES
Entretien avec Nathalie Gruska Flornoy, décembre 2024
NGF – Les titres de ces tableaux, réunis sous le titre de « Paysages, des passages », se réfèrent à des lieux particuliers où vous travaillez.
RC – Ces caractères locaux concrets supposés suffiraient-ils à en faire des paysages? N’est-ce pas au contraire leur vis-à-vis, « l’environnement », mot impérieux, réduction du multiple à une unique possibilité, qui ici et peut-être désormais, détiendrait le pouvoir d’interroger les lieux, le verbe « habiter », etc. ?
NGF – Ce que vos tableaux questionnent, est-ce l’habitabilité actuelle du monde, du réel ?
RC – S’il existe un « lieu » qui m’habite – que je puisse habiter, c’est peindre.
NGF – Peut-on parler de vos techniques ?
RC – Au magasin de couleurs, j’achète du liant acrylique, des tubes de « couleurs » et des oxydes métalliques purs, en poudres.
Rentré chez moi, je réalise mes préparations : quelques grammes de « couleur » dilués dans une grande quantité de liant acrylique ; la « couleur » de ces laits translucides est donc extrêmement faible, à la limite du discernable, de l’identifiable lorsqu’ils sont employés en films minces.
La règle veut que pour chaque tableau jusqu’à la fin de sa réalisation, j’utilise trois primaires : tel jaune, tel rouge, tel bleu, que j’applique en touches, et en glacis que si vous le voulez bien nous appellerons J, R, B. Selon que ce sont des glacis J, R, J, B, R, B, J etc., qui sont superposés, ou bien J, B, J, B, R, R, etc., une « teinte » particulière devient peu à peu perceptible, se précise sans perdre son appartenance à un registre inabouti, non fini.
NGF – Vous parlez de l’emploi de trois primaires comme d’une « règle ».
RC – Il est d’entrée nécessaire de détruire les références pétrifiées, et en particulier, de préparer les conditions dans lesquelles tel mélange de « couleurs » et de textures sera clairement et par exception acceptable.
Plus limité est le palettier, plus forte est la sollicitation de gestes particuliers, plus nécessaires les différences entre les façons de poser, de déposer, d’étirer, de lisser, etc., ces gels, c’est-à-dire sont spécifiques à telle situation les conduites de la circulation de la lumière entre les couches, encore une fois quasi transparentes.
Les « couleurs » ? Elles me concernent en tant que mon travail avec la lumière les fait échapper aux définitions ; tant qu’ici ne se produisent ni saturations plastiques ou graphiques ni évènement pictural. Qu’un devenir par soi se présente.
NGF – Paysages, alors – de quoi ? S’il n‘y a rien de fixé…
RC – Peindre, est-ce accepter, en actes, l’intuition « esthétique » qui m’est d’abord venue ? si oui, que signifie ce consentement, cet agir sans qu’une articulation existe ou soit consciemment cherchée, qui organiserait des rapports sensés entre ces deux réalités ? Chacune paraît obéir à ses propres lois; deux autonomies se niant réciproquement, constitueraient-elles les conditions nécessaires de la « création » d’une forme ?
Pour nommer ce rapport, cette vibration sans lien patent, peut-être sans causalité, il faudrait parler une autre langue, une langue qui exigerait de moi, actuellement, d’entendre mais sans conditions l’intuition première, comme le permet l’exercice de mon métier, qui sans paroles lui répond. Hors de cette expérience, je ne sais si habiter signifie quelque chose.
être touché, retomber en peinture
toucher l’effroyable privation

Exposition Saskia Gallery
Notre implication est portée par notre foi dans la capacité de changement de nos sociétés et par la nécessité d’agir pour soutenir un changement qui n’est plus une option, mais une ardente nécessité.

