
La Cour administrative d’appel de Nantes, par une décision du 24 juin 2025 (CAA Nantes, 24 juin 2025, n°23NT00199), retient la responsabilité pour faute de l’État, en raison de ses carences dans la mise en œuvre de la réglementation européenne et nationale destinée à protéger les eaux de toute pollution d’origine agricole. L’Etat a en effet été jugé responsable de la mort d’un homme à la suite d’une intoxication mortelle par inhalation d’hydrogène sulfuré issue de la prolifération des algues vertes. La pollution par les nitrates présents dans les engrais et dans les déjections animales issues de l’élevage constitue la cause principale de la prolifération des algues vertes en Bretagne, ces nitrates comportant des nutriments dont les algues se nourrissent. Il est impossible ici de ne pas rapprocher ce phénomène à celui des algues brunes (dites “sargasses”) que connaissent certains territoires ultramarins depuis plus d’une décennie.
Le 8 septembre 2016, un costarmoricain de 50 ans est mort alors qu’il pratiquait la course à pied dans l’estuaire breton du Gouessant. Les proches de la victime ont alors demandé au Tribunal administratif (TA) de Rennes de condamner la communauté d’agglomération “Saint-Brieuc Agglomération”, l’État et la commune d’Hillion à les indemniser des préjudices qu’ils ont subis en raison de ce décès. Par un jugement du 25 novembre 2022, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande. Pour le TA de Rennes, il n’avait pas été démontré que le décès de la victime avait été causé par l’inhalation d’un gaz toxique, l’hydrogène sulfuré, provenant de la décomposition d’algues vertes accumulées sur place.
La CAA de Nantes a, au contraire, retenu la responsabilité pour faute de l’État, en raison de ses carences dans la mise en œuvre de la réglementation européenne et nationale destinée à protéger les eaux de toute pollution d’origine agricole. La cour en effet estimé, en se fondant notamment sur plusieurs nouvelles pièces présentées en procédure d’appel, que le décès de la victime, qui est survenu instantanément et a été causé par un œdème pulmonaire massif et fulgurant, ne pouvait s’expliquer autrement que par une intoxication mortelle par inhalation d’hydrogène sulfuré à des taux de concentration très élevés, tels que ceux relevés sur le site du décès, lors des investigations réalisées, quelques semaines plus tard, sur réquisition du procureur de la République de Saint-Brieuc. La CAA de Nantes a estimé dans le même temps que la victime avait pris des risques inconsidérés car elle connaissait les dangers de l’estuaire du Gouessant. L’État n’a donc été responsable qu’à hauteur de 60 % des conséquences dommageables du décès. La cour condamne l’État à réparer, dans cette proportion, les préjudices des proches de la victime (préjudices d’affection, préjudice économique et frais d’obsèques).
Cet arrêt est l’occasion de rappeler que le juge administratif a, par le passé, condamné l’État, à plusieurs reprises, pour sa carence fautive en la matière.
L’association “Eau et rivières de Bretagne” avait attaqué en 2018 devant le Tribunal administratif de Rennes un arrêté du 2 août 2018 portant sixième programme d’actions régional en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d’origine agricole (PAR 6). Elle estimait notamment que le PAR 6 (plan d’action d’origine étatique) ne comportait aucune mesure spécifique relative à la lutte contre les algues vertes. Dans une première décision du 4 juin 2021 (TA Rennes, 4 juin 2021, n°1806391), le Tribunal administratif de Rennes avait considéré que “si des mesures contraignantes ont effectivement été mises en œuvre dans le sixième programme d’actions […], un renforcement des actions mises en œuvre demeure nécessaire afin de restaurer durablement la qualité de l’eau en Bretagne, de limiter les fuites de nitrates à un niveau compatible avec les objectifs de restauration et de préservation de la qualité des eaux et, de prévenir au maximum le phénomène des marées vertes”. En conséquence, le tribunal avait annulé le PAR 6 en enjoignant au représentant de l’État de le modifier et de le compléter dans les quatre mois suivant le jugement. Le PAR 6 modifié devait prévoir « toute mesure supplémentaire utile de maîtrise de la fertilisation azotée et de gestion adaptée des terres agricoles dans les bassins versants situés en amont des sites littoraux concernés par les problématiques d’algues vertes« . Dans un second jugement du 18 juillet 2023, le TA de Rennes avait également estimé que sa décision du 4 juin 2021 enjoignant au Préfet de Bretagne de parfaire son dispositif régional de lutte contre la pollution aux algues vertes n’avait pas été suffisamment mise en œuvre par l’arrêté du 18 novembre 2021 pris à cette fin. On le voit les mesures prises par l’État demeurent à chaque fois insuffisantes.
Précédemment, en 2009, la CAA de Nantes avait déjà condamné l’État à indemniser des associations en réparation du préjudice moral résultant pour elles “d’une atteinte importante aux intérêts collectifs environnementaux qu’elles se sont données pour mission de défendre” (CAA Nantes, 1er décembre 2009, n°07NT03775). En 2013, la même cour a donné gain de cause à quatre communes bretonnes en condamnant l’État à indemniser le préjudice subi par la prolifération des algues vertes, constitué par le coût du ramassage et du transport de ces algues pour la seule année 2010 (CAA Nantes, 22 mars 2013, n°12NT00342, 12NT00343, 12NT00344 et 12NT00345).
Ce ballet vert qui se répète en Bretagne depuis des décennies (depuis 1971) est coûteux, l’Etat versant aux collectivités locales entre 600 000 euros et 1 million d’euros par an pour couvrir les frais de ramassage de ces ulves. Comme le rappelle l’Agence Régionale de Santé (ARS) de Bretagne, “s’il est respiré, ce gaz peut entraîner des effets sur la santé qui vont de la gêne au malaise grave jusqu’à la mort, en fonction de la concentration libérée. La perception d’odeurs présente également une véritable nuisance pour les personnes qui les subissent et est alors susceptible d’avoir un retentissement non négligeable sur leur santé”. Ces algues vertes – conséquence de l’essor de l’élevage industriel breton – ne représenteraient en revanche aucun danger pour la santé lorsqu’elles sont en mer ou déposées depuis peu, en faible épaisseur, sur la plage.
Cette catastrophe écologique bretonne n’est pas sans rappeler le phénomène plus récent des sargasses subi par certains territoires ultramarins comme la Martinique et la Guadeloupe. En effet, de l’autre côté de l’Atlantique du côté de la Mer des Caraïbes, les sargasses – le nom de ces algues – pullulent également, et ce tout au long de l’année. Elles se développent facilement par reproduction végétative. Autrement dit, dès qu’un fragment d’algue est détaché, il peut potentiellement recréer un autre individu. En mêlant leurs données avec celles de la consommation d’engrais au Brésil, du déboisement en Amazonie et de la composition de l’eau rejetée par le fleuve Amazone, de nombreux scientifiques expliquent avoir trouvé une des raisons de l’apparition de ces sargasses : la déforestation de la forêt amazonienne, alliée au développement de l’agriculture intensive.
Selon l’ARS de Martinique, “ces algues ne sont pas toxiques en elles-mêmes. Mais elles meurent une fois échouées sur les plages. Des dégagements importants de gaz se créent lors de leur putréfaction, notamment de sulfure d’hydrogène”.
Autrement dit, il s’agit du même gaz très toxique que celui issu de la putréfaction des algues vertes bretonnes pour lesquelles l’Etat a été maintes fois condamné.
Concernant les sargasses, la justice administrative est encore pourtant très timide, voire timorée. En effet, dans un jugement du 18 juin 2020 (TA Martinique, 18 juin 2020, n°1900046), le TA de la Martinique a refusé d’indemniser une société hôtelière qui demandait que la responsabilité de l’État soit reconnue à raison de l’insuffisance des mesures prises pour lutter contre l’échouage récurrent d’algues sargasses. Cette société exploitant un hôtel situé en bord de mer, sur la côte Atlantique, qui estimait être victime d’une baisse de fréquentation de son établissement au cours de l’année 2018 en raison des nuisances générées par l’échouage des algues sargasses, avait en effet formé un recours indemnitaire dans lequel elle se prévalait de l’insuffisance des mesures prises par l’Etat pour lutter contre ce phénomène. Les juges ont alors relevé que l’État a apporté son concours aux communes pour ramasser les algues échouées sur la côte et a mobilisé des moyens humains, pour piloter et coordonner les opérations de ramassage des mairies et leur apporter une assistance technique. Des moyens financiers ont également été mobilisés, en allouant aux communes touchées des subventions afin de financer les chantiers de ramassage.
L’Histoire (tragique) semble se répéter car ce raisonnement tenu par le juge administratif ultramarin était également celui tenu par les juges administratifs bretons avant les premières décisions de justice de condamnation relevées précédemment. Le phénomène des sargasses est plus récent que celui des algues vertes, presque 40 ans les séparent. Le cadre réglementaire est également différent. Mais faudra t-il attendre d’autres tragédies (humaines et environnementales) pour que les pouvoirs publics – et notamment l’État en première ligne – prennent réellement ces problèmes à bras-le-corps ?
Un constat s’impose à chaque fois dans ces deux phénomènes : une carence fautive de l’État pointée du doigt. L’État fait mais pas assez.
Des initiatives politiques intéressantes sont pourtant prises.
En Martinique, compte tenu des conséquences environnementales, des difficultés de stockage à terre et de l’absence d’une filière de valorisation capable d’absorber les volumes de sargasses collectés, les services de l’État ont impulsé une stratégie de réimmersion des algues fraîches collectées en mer. Il assure la maîtrise d’ouvrage d’un marché expérimental de “mise en œuvre à titre expérimental d’un dispositif renforcé de collecte de sargasses en zone côtière, puis de traitement et de réimmersion des sargasses ainsi collectées” dont les premières interventions ont eu lieu en avril 2023. L’État fait donc mais pas assez.
Les députés Mickaël Cosson (Côtes-d’Armor) et Olivier Serva (Guadeloupe) plaident, dans un “rapport flash” présenté à l’Assemblée nationale le 30 avril 2025, sur les opportunités économiques qu’offre la valorisation de ces algues brunes et vertes. Transformer ce problème écologique et sanitaire en levier d’innovation économique. C’est l’ambition dudit rapport parlementaire présenté. Qu’en sera t-il fait ? L’avenir nous le dira.
Les Chambres régionales des comptes – Guadeloupe-Guyane-Martinique, ainsi que les Chambres territoriales des comptes – Saint-Barthélemy-Saint Martin se sont aussi saisies de cette problématique et ont rendu public, il y a peu, une synthèse régionale intitulée “Les collectivités territoriales des Antilles face à la pollution des sargasses”. Ce rapport fait la lumière sur ces initiatives publiques intéressantes. Sa lecture est éclairante car elle met en exergue l’étendue du phénomène et la gestion publique dispersée et chaotique.

Président de FRD CONSULTING et de FRD LEARNING. Son expérience de juriste et d’avocat lui a notamment permis d'acquérir une solide expertise en droit immobilier public (droit de l’urbanisme, droit des collectivités territoriales, droit de l’environnement…).
- Spécialiste en droit public et en RSE
- DEA Droit public des affaires
- DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
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